Digitized by the Internet Archive in 2018 with funding from Getty Research Institute
https://archive.org/details/dissertationsarcOObonn
V S
DISSERTATIONS ARCHÉOLOGIQUES
sur i.es
ANCIENNES ENCEINTES DE PARIS
SUIVIES DF.
RECHERCHES SUR LES PORTES FORTIFIÉES
QUI DÉPENDAIENT DE CES ENCEINTES.
Ouvrage formant le complément de celui intitulé :
ÉTUDES ARCHÉOLOGIQUES SUR LES ANCIENS PLANS DE PARIS.
par A. BONNARDOT, parisien.
•■•«à*** iè'&rttïti
^ §: \ :7 ) : , 4 ^ £ ... ÿ
îA’-j® fi. . 5v-‘ v«.+ /• ; 'w ;fe f ■ s .1'
PARIS
A LA LIBRAIRIE ARCHÉOLOGIQUE DE J.-B. DUMOULIN
QUAI UES GRANDS— AUGUSTINS, 13.
1853
DISSERTATIONS ARCHÉOLOGIQUES
SUR LES
ANCIENNES ENCEINTES DE PARIS.
Tiré à deux cents exemplaires.
ographic «le iiknxutiîr, rue du Boulevard, 7 Batignolles.
(Boulevard citorieur de l’arls.)
DISSERTATIONS ARCHÉOLOGIQUES
SUR LES
ANCIENNES ENCEINTES DE PARIS
SUIVIES DE
RECHERCHES SUR LES PORTES FORTIFIÉES
QUI DÉPENDAIENT DE CES ENCEINTES.
Ouvrage formant le complément de celui intitulé :
ÉTUDES ARCHÉOLOGIQUES SUR LES ANCIENS PLANS DE PARIS.
par A. BONNÀRDOT, parisien.
PARIS
A LA LIBRAIRIE ARCHÉOLOGIQUE DE J. -B. DUMOULIN
QUAI DES GRANDS— AUGUSTINS, 13.
’
'
r
*
.
'
■
*
~
‘ •
. — j
PRÉFACE.
Ces dissertations, produit de plusieurs années d’étude, sont loin d’être aussi complètes que je l’aurais désiré. Leur perfectionnement exigeait une condition que je n’ai pu remplir : celle de rechercher, aux Archives ou ailleurs, et de vé¬ rifier par moi-même les chartes, anciens comptes et autres pièces sur lesquelles elles sont en partie fondées. Mais le travail qui consiste à déchiffrer, à interpré¬ ter de vieilles écritures, me cause une fatigue cérébrale qui paralyse toute ma bonne volonté. J’ai donc pris le parti d’accepter avec confiance le témoignage des auteurs qui nous ont signalé ces divers documents.
Le présent ouvrage a pour base : — des recherches sur lieux faites entre 1838 et 1852; — des détails extraits des principaux historiographes parisiens; — - en¬ fin, des renseignements fournis par l’examen des vieilles estampes, des anciens plans généraux de la capitale, et de quelques plans locaux levés, à diverses époques, par des toiseurs ou des architectes.
Parmi les livres qui m’ont le mieux secondé pour éclaircir F histoire des en¬ ceintes et des portes de Paris, je citerai : le tome Ilï des Antiquitez de Sauvai, immense arsenal de documents accumulés pêle-mêle; — - les trois volumes de Preuves qui suivent Y Histoire de Paris , de Félibien et Lobineau; — le Mémoire historique et critique sur la Topographie de Paris, in-4° anonyme publié en 1771 .
Ce Mémoire , rédigé par Bouquet, avocat de la Ville contre l’Archevêque, au sujet d’une contestation relative à la vente des terrains de l’hôtel de Soissons, offre de nombreux et curieux extraits d’anciens registres, autres que ceux impri¬ més au tome III de Sauvai. L’orthographe de ces extraits a été évidemment dé¬ formée , rectifiée si l’on préfère (inexactitude, au reste, qu’on doit également reprocher aux actes ou anciens comptes produits par Sauvai et Félibien) ; néan¬ moins, les renseignements qui résultent du texte même (que je citerai avec fidé¬ lité) ne peuvent etre suspects , car, le plus souvent, ils tournent contre l’opinion qu’ils sont appelés à soutenir, ou n’y ont qu’un rapport très-indirect. Si Bouquet
VI
PREFACE.
eût, par négligence ou à dessein, altéré le texte même de ces registres, ses ad¬ versaires, intéressés à le prendre en défaut, et à portée de vérifier les sources qu’il indique, n’eussent pas manqué d’en répudier l’authenticité. Or, ils ont réfuté, non les citations imprimées à l’appui de sa cause, mais les conséquences qu’il prétendait en tirer; d’où je conclus que ces citations peuvent passer à nos yeux pour une autorité acceptable.
Ainsi, mon livre se compose en partie de matériaux tout faits, mais dispersés çà et là, sans ordre. Mon travail, en dehors de mes recherches personnelles, a donc consisté à classer, à commenter tout ce qui a été écrit sur cette matière, avec le soin d’en faire ressortir les méprises et les contradictions, comme aussi les faits incontestables. Le litre de Dissertations était donc celui qui convenait le mieux à cet ouvrage.
Devais-je garder indéfiniment ces dissertations à l’état de manuscrit, dans le but de les compléter lentement par de nouvelles recherches ? J’ai préféré les livrer telles quelles à l’impression, bien convaincu d’une vérité que j’ai déjà exprimée ailleurs: — Aspirer à un degré de perfection qui semble fuir devant des efforts sans termes, c’est porter à l’excès le scrupule ; on diffère toujours, et l’on meurt, laissant après soi de stériles paperasses, qui sont dispersées ou perdues.
Les amateurs du positif blâmeront-ils ces assertions hypothétiques, ces expres¬ sions dubitatives qui dominent souvent, au milieu des questions difficiles que j’ai franchement soulevées et abordées, au lieu de les éluder par ruse ou par in¬ souciance? Ce reproche serait d’autant moins indulgent, que j’ai adopté le titre peu prétentieux de Dissertations, mot qui implique l’idée de discussions sujettes à échapper à une solution affirmative. Le doute est malheureusement trop sou¬ vent le résultat d’un examen approfondi : mais, après tout (comme je l’ai dit encore dans une autre préface), le doute bien motivé n’est-il point quelquefois le premier pas possible vers la vérité ?
Sous Louis XIV, une révolution complète s’opéra dans le système de la forti¬ fication générale du royaume. Sous la conduite de Vauban, on munit les villes frontières de redoutables remparts, et celles du centre devinrent des villes ou-
PREFACE.
VII
vertes, y compris la capitale. En 1690, ce système avait reçu sa pleine exécu¬ tion. Il ne restait plus à Paris, du côté du nord, d’autre forteresse que la Bas¬ tille, avec quelques bastions ; partout ailleurs on avait abattu ou vendu les vieilles murailles et comblé les fossés. Quelques portes étaient encore debout, mais en qualité d’ornements ou d’arcs de triomphe.
Le premier plan moderne sur lequel on traça la ligne des anciennes clôtures de Paris, c’est, à ma connaissance, celui en une feuille, édité par Nicolas De Fer, en 1692. On y voit figurer, au pointillé, les limites vraies ou conjecturales des enceintes antérieures à cette année. On venait, du côté de la rive droite, d’en établir une nouvelle nommée le Cours ; c’était une sorte de promenade terrassée, substituée par Louis XIY à des fortifications jugées inutiles. On trouva dès lors pi¬ quant de rappeler, à titre de souvenir ou de contraste, les bornes de la capitale à diverses époques. Mais ce tracé est très-imparfait, même par rapport au mur méridional de Ph. Auguste, lequel pourtant subsistait encore presque entier, au fond des nouvelles propriétés construites sur l’emplacement des anciens fossés.
En 1705, parurent les plans insérés dans le Traité de la Police de De la Marre. Ils diffèrent du précédent en ce que, au lieu d’offrir un simple tracé des diverses enceintes, sur un plan moderne, iîsdonnent une représentation fictive de l’état de Paris, entre telle et telle époque. Ces plans, d’une inexactitude choquante, eurent d’abord un grand succès; mais vers la fin du siècle qui les vit paraître, on commença à les apprécier à leur juste valeur.
En 1716, l’ingénieur Guillaume De l’Isïe exécute un plan dans le genre de celui de Nicolas De Fer, mais moins inexact.
En 1756 , le comte de Caylus publie, dans son Recueil d’ Antiquités (t. II, p. 367), un très-petit plan, avec les diverses enceintes passablement tracées.
En 1760, Robert De Vaugondy dresse un plan, avec les anciennes clôtures bien mieux indiquées que sur ceux de ses devanciers.
1770. — Petit plan par Moithey, assez précis, grâce à l’influence du précédent. En 1774, ce géographe en donne un du même genre, beaucoup plus vaste, mais qui paraît moins exact, par cela seul que sa dimension est plus grande.
1825.— -Plan dressé par Achin, pour l’Atlas de Y Histoire de Paris de Dulaure;
VI 11
PREFACE.
il est inférieur, sur presque tous les points, à celui de Robert de Vaugondy.
De nos jours, l’architecte Albert Lenoir a fait graver plusieurs plans fictifs où l’enceinte de Ph. Auguste est représentée, d’après de nouveaux documents topo¬ graphiques puisés aux Archives, des fouilles modernes et des recherches sur lieux. Ces savants essais annoncent une ère favorable aux progrès de l’archéolo¬ gie parisienne.
Je dois faire observer que le tracé de nos vieilles enceintes, exécuté sur des plans d’une petite échelle, ne donne à l’imagination qu’une idée vague de la réalité ; sur un plan de vaste proportion, ce genre de travail est bien plus instruc¬ tif, mais autrement difficile, si l’on vise à la précision; le plus léger défaut, dans l’ensemble ou dans les détails, saute de suite aux yeux, et accuse la négli¬ gence du dessinateur. Pour qu’un tel plan ne s’écarte pas trop de la réalité ou de la vraisemblance, il faut consacrer à sa confection plusieurs années d’étude.
Quelques lignes encore, relatives aux planches destinées à faire bien com¬ prendre le texte des présentes dissertations. Je les ai dressées d’après d’anciens plans généraux ou particuliers, rectifiés par des documents écrits et des recher¬ ches locales. Le plan de Verniquet, qui offre l’état de Paris vers 1789, m’a paru, en raison de sa date, de sa vaste dimension et de sa précision reconnue, le plus propre à servir de base à mon tracé de la clôture de Ph. Auguste. J’en ai donc calqué toutes les portions contiguës à la ligne que suivait cette clôture.
Une difficulté se présentait : devais-je reproduire les rues dans l’état où Ver¬ niquet les a figurées, avec toutes ces déviations irrégulières, que le système gé¬ néral d’alignement a redressées, de nos jours, sur tant de points de la surface de Paris ? Après de mûres réflexions, j’ai pris le parti de moderniser son plan ; mais quelquefois aussi, selon les circonstances, j’ai cru convenable de conserver le trait géomélral de certaines rues ou de certains édifices effacés du sol depuis 1789, afin d’éclaircir mon récit, ou de mieux fixer la situation de quelques détails de l'enceinte. Mes planches seront peu remarquables sous le rapport de l’exécu¬ tion, car j’ai visé à l’économie ; mais j’ai veillé au point essentiel : à la netteté du trait et à l’exactitude dans les proportions.
DISSERTATIONS ARCHÉOLOGIQUES
<, SUR
LES ANCIENNES ENCEINTES DE PARIS.
1. — E9es enceintes «le Paris avant PSailippe Auguste.
I L’histoire des clôtures de Paris qui ont précédé celle de Ph. Auguste est fort obscure , et je doute qu’elle puisse jamais être dégagée des ténèbres qui l’enve¬ loppent, sans la découverte fortuite de quelque ancien manuscrit, ou l’exhumation d’une continuité de débris matériels cachés jusqu’ici sous le sol. La solution com¬ plète (le celte curieuse question est réservée, je l’espère, aux archéologues de l’avenir.
On ne peut se former qu'une idée très-confuse de l’état de la petite capitale des Parisiens avant l’invasion romaine, et nous ne trouvons sur l’époque de celte invasion que de faibles lumières fournies par les historiens de la nation civilisée qui nous subjugua, un demi-siècle avant Père chrétienne; ainsi, sur ces deux points historiques, le champ reste toujours ouvert aux conjectures.
11 faut nécessairement admettre que le principal bourg des Parisiens, Luletici , oppidum Parisiorum, comme écrit César, avait, au temps de la conquête romaine, une certaine importance, puisqu’on en attachait beaucoup à sa possession ; néan¬ moins on doit le considérer comme un centre fort restreint dépopulation. Il exis¬ tait alors dans la Gaule, surtout près du rivage de la Méditerranée, plusieurs cités vraiment dignes de ce nom ; mais sur le territoire des Parisiens on ne rencontrait ()Uère que des bourgs disséminés sur une grande surface. Or, Lutèce était un des plus considérables, puisqu’elle passait pour le chef-lieu de réunion des peuplades connues sous le nom commun de Pavisiens .
Notre première chronique vraiment nationale, celle de Grégoire de lours, ne datant que du VIe siècle, ne peut nous fournir de documents certains sur l’état de
2
ENCEINTE DE LA CITE.
Paris avant et pendant la domination romaine. Il faut donc nous contenter des quelques phrases jetées çà et là dans les textes des auteurs contemporains, textes latins ou grecs qui ont fort bien pu subir des altérations en traversant les âges, sous la plume des religieux qui les ont reproduits pour nous les transmettre.
L’auteur du Traité de la Police nous représente la Lutèce gauloise sous forme d’un amas de huttes cylindriques bâties de boue et de paille avec un toit arrondi, huttes éparses au hasard sur la surface, alors moins étend ue vers l’ouest, de la Cité actuelle. L’aspect mesquin qu’offre son premier plan fictif ne s’accorde guère avec Je témoignage de J. César. A l’époque où fut conquise notre petite île, elle com¬ muniquait avec les rives au moyen de deux ponts de bois, que les Parisiens brûlè¬ rent, ainsi que la ville (il faut peut-être, par ce mot, entendre un faubourg voisin des ponts), à l’approche deLabiénus, lieutenant de César. Or, deux ponts de bois, construits sur un fleuve assez large et assez impétueux à certaines époques, sup¬ posent un état de civilisation déjà avancé ; ils ne pouvaient conduire à d’aussi ché¬ tives maisonnettes. Un simple village se serait fort bien contenté de quelques bateaux plats pour traverser les deux bras de la Seine. Aujourd’hui même, en ce siècle si fécond en ressources, nos villages sis au bord d’une rivière, à moins qu’ils ne livrent passage à une grande route, n’ont pas d’autres moyens de communi¬ cation.
11 est tout à fait impossible aux Parisiens de 1852 de se former une idée, même approximative, de l’état de Lutèce à l'époque de l’invasion romaine ; mais un fait certain, c’est que le sol de la Cité (moins spacieux alors qu’aujourd’hui, puisqu’on y a annexé plusieurs îles et qu’on a, par des exhaussements successifs, rétréci le lit de la Seine !) fut un point central d’où rayonnèrent les divers groupes d’habitations dont la réunion forme la capitale actuelle. Il est certain encore que cette petite ville insulaire était, à l’époque où César la soumit, le chef-lieu com¬ mercial des bourgades disséminées sur le territoire parisien, et portait alors une désignation analogue à celle de Lutetia, nom sans aucun doute romanisé par .1. César, de sorte que nous ne savons au juste ni prononcer ni écrire le vrai nom celtique dont l’étymologie a donne lieu à des recherches plus ou moins invrai¬ semblables.
La plus vaste capitale est née d’une cabane, comme le plus gros chêne est issu d’un gland ; la notre, comme toute autre, a commencé par l’établissement d’une sorte de ferme construite, il y a bien des siècles, sur le sol de cette île qui se perd
1 l.a largeur primitive de la Seine était considérable. On vient récemment (déc. 1851) d’abattre, pour livrer passage à la rue prolongée de Rivoli, les maisons de la rue de la Tixeranderie, derrière l Uôtel de-Villc. Or, on a pu voir que leurs fondements reposaient sur des bancs de sable d’aliuvion, déposés par la Seine.
ENCEINTE DE LA CITE.
3
aujourd’hui dans l’ensemble d’un vaste réseau de rues. Peu à peu, autour de ce noyau primitif se sont groupées d’autres habitations. Un temps enfin arriva où cette agglomération mérita le nom de petite ville, et posséda des constructeurs assez habiles pour établir deux ponts communiquant avec les bois, marais, prai¬ ries, maisons et chemins situés sur les deux rives opposées à l’île. Lutèce en était à ce point de croissance, quand César subjugua ses habitants. Mais quels étaient alors son image réelle, le chiffre de sa population, le genre de bâtisse, la forme, la dis¬ tribution intérieure de ses habitations 1 ? Ces questions ne peuvent être résolues d’après les quelques phrases fort vagues des auteurs qui en parlent de visu. Il faut donc nous en tenir, sur cet article, aux hypothèses et voir chacun selon le bon plaisir de notre imagination. Pour me renfermer dans le cadre du présent livre, je ne discuterai qu’une seule question : Lutèce, avant l'invasion romaine, était- elle fortifiée d'un mur d'enceinte ?
Jules-César, l’écrivain-conquérant, n’en ayant point parlé positivement, il est fort vraisemblable que Lutèce ( oppidum Lutetia ) n’avait d’autres fortifications que son site entre les deux bras d’un fleuve. Comment César, qui raconte les exploits de son armée, eût-il oublié cette circonstance importante qui eût encore relevé l’é¬ clat de sa victoire? D’ailleurs, le récit des événements prouve assez l’absence de murailles autour de Lutèce. L’armée parisienne, avant de marcher contre Labié- nus, incendie ses ponts et la ville, c’est-à-dire probablement les faubourgs. N’au¬ rai t-on pas laissé un corps de troupes dans une ville entourée de murs? Les Pari¬ siens après leur défaite, non loin de leur île, ne courent pas y chercher un refuge: il faut en conclure que ce peuple, adonné surtout au commerce et à l’agriculture, et belliqueux seulement par occasion, avait jugé la Seine une fortification suffi¬ sante.
Mais tout en excluant l’idée d’un rempart de pierre, il semble raisonnable d’ad¬ mettre que les Lutéciens, établis dans une île alors peu élevée au-dessus des basses eaux, avaient garanti leur île contre les ravages du fleuve, c’est-à-dire au moyen
' On ne peut admettre que ces maisons eussent plus d’un étage au-dessus du rez-de-chaussée. La nécessité de construire des habitations de plusieurs étages, pour multiplier la surface du sol, ne se fait sentir qu’à l’époque où le terrain central d’une ville a acquis une haute valeur. Ce n’est guère, je suppose, avant le XIe siècle qu’on eut chez nous l’idée de bâtir en ce genre. C’est un usage, je crois, que ne connaissait point l’antiquité. Il est douteux que Rome elle-même, cette ca¬ pitale du monde alors connu, ait possédé beaucoup de maisons à plusieurs étages Si donc les logis de nos ancêtres en comportaient au plus un seul, comme le cas est vraisemblable, ils renfer¬ maient peu d’habitants, à moins d’admettre qu’ils logeassent pour la plupart en commun. La sur¬ face de l’île, telle qu’elle était alors, peut être évaluée à peine à 17 ou 18 hectares. J2n supposant les maisons assez serrées et dépourvues de jardins, on ne pourrait, je crois, évaluer sa popu¬ lation à plus de cinq ou six mille âmes.
4
ENCEINTE DE LA CITÉ.
d’une sorte de chaussée ou de terrassement maintenu par des pieux. Un travail de ce genre, bien qu’aucun auteur n’en parle, semble avoir été pour eux de pre¬ mière nécessité, à moins de supposer leurs maisons élevées sur des poteaux , comme en certaines vallées de la Suisse, ou sur des tertres factices, comme on en voit, dit-on, sur les bords du Nil ’.
Cette digue était, à mon avis, formée de pi-eux plutôt que de pierres, vu la proximité, du côté de la rive droite, d’un bois qui vraisemblablement s’ unissait à ceux de Boulogne et de Vincennes. Nos aïeux ont dû se servir longtemps de ces bois placés à leur portée, avant de songer aux carrières plus éloignées que les Ro¬ mains, architectes plus habiles, furent les premiers à exploiter. L’usage des con¬ structions ligneuses s’est maintenu longtemps à Paris; les violents incendies si¬ gnalés aux années 547, 586, 637, 1034, etc., en fournissent la preuve. Les ponts de pierre furent lontemps inconnus, et quand, en 886, les Normands vinrent assiéger Paris, on leur opposa un pont et même des tours presque entièrement composés de bois.
Conclusion : Avant l’invasion romaine, Lutèce, fort vraisemblablement, n’était pas entourée d’un gros mur de pierre, mais devait être, malgré le silence des his¬ toriens, fortifiée, contre les inondations delà Seine, de digues formées de terre et de palissades.
Clôture de la cité. — Quand César eut conquis Lutèce et le territoire des Pa¬ risiens, leur petite ville (ou du moins son emplacement, si l’on admet qu’elle avait été incendiée par ses habitants) dut peu tarder à devenir un centre militaire, une ville de garnison ; on peut ici hasarder le mot de ville , puisqu’elle fut jugée digne de loger des empereurs et que César y établit le grand Conseil [summum Galliœ consïlium ), et peut-être la corporation dite : Nautæ Pcirisienses. Le premier soin du vainqueur en s’installant dans sa colonie, au milieu d’indigènes d’un ca¬ ractère entreprenant, dut être de fortiticr sa conquête; mais il ne résulte pas des anciens textes que ce fut au moyen d’un mur élevé autour de file. On fit de Lu¬ tèce une ville nommée castellum, c’est-à-dire pourvue d’une citadelle située soit à la pointe orientale de file, sur l’emplacement actuel du Palais, soit sur la colline voisine qui dominait file, du côté du midi.
L’empereur Julien, dans son Misopogon , ouvrage écrit vers 370, nous entre¬ tient de sa chère Lulèce (Parisiorum oppidum ), de son site, de son climat et de ses deux ponts; mais il nefuit aucune mention de son mur d’enceinte. Ammien Mar-
' Consulter, au sujet de l’exhaussement successif des divers points du sol de la Cité, la dissertation de llonainy. ( Mèm . de l'Acad. des Inscr., tome XVII.)
ENCEINTE DE LA CITÉ.
5
cellin, qui écrivait à la même époque (375), parle aussi, dans sa Description des Gaules, de Lutèce, qu’il appelle pour la première fois Parisius, et qualifie de castellum ; il ne dit rien non plus de ses murailles, soit qu’il n’en existât pas, soit que le mot castellum renfermât l’idée d’une enceinte.
Corrozet 1 ( Antiq . de Paris, 1561, fol. 7, verso) s’exprime ainsi : «La renom- « mée commune maintient que Iules César estant à Paris, y feit faire plusieurs « édifices, et pour ceste cause plusieurs auteurs Latins, mesmement Boëce, au « liure de la Discipline scholastique, nomment Paris Ciuitas Iulij, pour ce qu’il « l’a amplifiée et fortifiée. » De la Marre (p. 71) cite le passage de Boëce : « Lute- « tiam Cæsar usque adeô ædificiis adauxit, tàmque fortiter mœnibus cinxit, ut « Julii Cæsaris Civitas vocetur.» De la Marre, ajoutant (selon sa coutume) du sien à cette phrase, assure que ces murailles étaient « fortifiées de tours d’espace en espace.» Mauperché ( Paris ancien, p. 31) relève vertement cette assertion, et attaque en même temps le passage cité, qui, dit-il, ne « se trouve que dans un « livre que De Saint-Foixa décidé n’être d’aucune autoiité. »
L’historien -anecdotier Saint-Foix est à mes yeux fort peu Compétent sur cette matière. Mais, en tout cas, la phrase citée ne peut être pour nous d’aucun poids, puisque Boëtius, personnage romain assez important, écrivait vers 460, époque où le peuple conquérant commençait à perdre son pouvoir dans la Gaule. Son assertion sur un fait remontant à plus de quatre siècles, et que J. César lui-même a passé sous silence, était probablement fondée sur une tradition orale, c’est-à-dire fort incertaine.
Si l’on admet que Boëce écrivait, en effet, en 460, et que cette phrase est bien de lui (deux points que je ne saurais décider), on doit croire que les murailles dont il parle existaient de son temps ; mais peut-être avaient-elles été construites postérieurement à l’an 375, puisque Julien et Marcellin, qui écrivaient alors, n’en font aucune mention.
Ce qui me paraît certain 2, c’est qu’à l'époque du siège de Paris par les Nor¬ mands, 886, la cité de Lutèce était fortifiée d’un gros mur, probablement de construction romaine, ou, si l’on veut, gallo-romaine. Abbon, religieux deS. Ger- main-des-Prés, qui nous a laissé un poëme en latin barbare, sur ce siège dont il fut témoin, fait mention des murs ( mœnîa ou muros ) qui entouraient la Cité. Il en parle en son Ier livre, vers 15 et 16, 516 et 634; et en son IIe, vers 1 1, 48,
1 Quand je cite cet auteur, c’est toujours d’après l’édition de 1561.
2 Cette assertion diffère de celle exprimée dans mes Etudes sur les Plans de Paris, page 13. Quand j’écrivais cette page, je ne songeais pas au poëme d’Abhon. Des recherches plus approfondies m’ont fait adopter un système opposé.
6
ENCEINTE DE LA CITE.
55 et 56, 123, 147, 188, 233, 264, 288, 422 et 461. Dans les vers 15 el 16 (liv. I), il s’adresse ainsi à Lutèce :
Insula (de) te gaudet; fluvius sua fert libi gyro Bracchia complexo muros mulcenlia circùm.
Je citerai encore les vers 55 et 56 du livre II :
Mœnia circum eunt Irucibus gladiis onerali Digressique foràs noslri circumdare turres.
À moins de nier l’authenticité de la date de ce poëme si connu , ou de regarder ces documents comme des fictions poétiques, il faut admettre qu’en 886 la Cité proprement nommée Lutetia était entourée d’un mur, ce qui (soit dit en passant) ne s’oppose pas à l’existence d’une autre enceinte déjà bâtie sur une des deux rives.
Maintenant, quand et de quels matériaux fut construit ce mur? A quelle épo¬ que a-t-il disparu ? Voilà des questions difficiles à résoudre. Il semble tout na¬ turel de croire que le peuple conquérant, qui fit de Lutèce un de ses quartiers généraux, dut songer tôt ou tard à fortifier cette ville d’un mur d’enceinte ; aussi n’hésite-t-on qu’avec peine à le lui attribuer. Il y a donc une forte présomption en faveur de cette opinion, mais aucune preuve positive, puisque les historiens contemporains gardent le silence, et que le seul qui assigne üne date à la con¬ struction de ce mur, Boëce, est un écrivain peu digne de confiance. Grégoire de Tours, qui écrivait au VI* siècle, ne parlant pas de l’enceinte romaine, on serait tenté de croire qu’elle n’existait pas, ou qu’elle aurait été déjà détruite et n’aurait été relevée qu’au IXe siècle, contre les ravages des Normands. Mais de ce fait historique, que les Normands dévastaient seulement les environs, ré¬ sulte la conséquence que la Cité était munie d’un mur en bon état.
On lit dans la prétendue charte de fondation de S. Vincent (depuis S. Ger- main-des-Prés), charte donnée par Childebert en 558, et souvent réimprimée :
« Cœpi instruere Templum, in urbe Parrhisiacâ propè muros civitatis. » Ces mots muros civitatis désignent-ils l’enceinte de la Cité, ou, comme le croit M. de Gaulle, une clôture delà rive gauche, antérieure à celle de Ph. Auguste ? D’abord, il paraît extraordinaire qu’on ait, en 558, nommé l’église de S. Germain « Tem¬ plum in urbe Parrhisiacâ » . Ce fut seulement en octobre 1551, selon Corrozet, que l'abbaye cl le faubourg de ce nom furent déclarés faire partie de Paris. L’ex¬ pression : propè muros paraît exagérée, appliquée à l’église, qui est distante de trois cent cinquante toises du point de la Cité le plus voisin, c’est-à-dire de l’endroit où s’ouvre la rue actuelle du Harlay. Cette réflexion a fait croire qu’il s’agissait ici d’une enceinte plus rapprochée, construite sur la rive gauche. Néanmoins,
ENCEINTE DE LACITÉ.
7
comme il n’y avait sans doute que des prairies et quelques pauvres maison¬ nettes dans tout cet espace, on peut s’expliquer l’emploi du mot propè dans le sens où nous dirions : Yincennes près de Paris, le mur de la cité étant le point du voisinage le plus important.
Dans la même charte, il est question d’une donation de moulins situés (sur la Seine) inter portam civitalis et turrim. Cette porte est sans doute celle ouverte au sud de la Cité, près du Petit-Pont, et la tour, une tour murale, voisine de la porte. Cette charte prouverait, à mon avis, l’existence de la clôture qui nous occupe ; mais on peut élever des doutes sur son authenticité. N’aurait-elle pu avoir été fa¬ briquée au XIVe siècle par un faussaire ignorant, qui croyait que le mur méri¬ dional de Ph. Auguste était déjà debout en 558?
Exisle-t-il sur le mur de la Cité des preuves matérielles? Des fouilles, opérées en 1829 et 1847, paraissent en fournir deux. 1° Lorsqu’on juin 1829 on démolit S. Landry, on trouva, annexé aux fondements de cette église, un mur épais, cou¬ rant parallèlement à la Seine. La découverte a été consignée et expliquée dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France1. On a jugé que ce mur était de construction romaine, et faisait partie, malgré sa grande distance du rivage actuel, de l’ancienne clôture de Lutèce. Il faut avoir égard à cette consi¬ dération que la Seine, alors dépourvue de quais, empiétait sur le sol de l’île, et qu’une grève servant de chemin de ronde régnait probablement le long du mur, à l’extérieur, comme semble l’attester le vers d’Abbon, cité plus haut: Mœnia circumeunt , etc.
2° Quand, en novembre 1847, on fit des fouilles sur la place du parvis, on mit à nu, outre plusieurs anciennes bâtisses (devenues souterraines par suite de l’exhaussement progressif du terrain), un gros mur parallèle au petit bras de la Seine. Il a été aussi réputé de construction romaine, et M. Albert Lenoir, qui l’aura jugé tel en connaissance de cause, a fait graver avec soin l’état de ces fouilles, ainsi que celles de S. Landry. (Voir sa Statistique monum. de Paris, 19e et 24e liv.)
Je n’ai aucune compétence pour émettre un jugement sur cette question, bien que j’aie visité trois fois les ruines de Rome. A Rome même, on ne peut guère assigner une date précise aux divers débris de bâtisse brute, car ce sont les orne¬ ments en tout genre qui révèlent le plus sûrement une époque.
Les Romains ayant été dépossédés de notre territoire vers la fin du Ve siècle, il faut que ce mur soit antérieur à l’an 500 pour être réputé leur œuvre. Il aurait pu avoir été bâti plus tard, dans un genre analogue à celui des Romains; car nos
* Voy . ces Mémoires , tome IX, où se trouve le plan lithographié de ces fouilles.
B
ENCEINTE DE LA CITÉ.
ancêtres ont dû longtemps conserver les usages de leurs dominateurs. Les dé¬ couvertes signalées peuvent donc raisonnablement s’appliquer à une première en¬ ceinte romaine ou gallo-romaine ; mais, je l’avoue, ces fouilles n’ont pas encore entraîné ma conviction, et, jusqu’à l’exhumation de nouveaux fragments de murailles rangés sur la même ligne et d’une construction identique, il sera tou¬ jours permis aux antiquaires d’y voir les débris de quelque édifice inconnu.
L’existence de ce mur adoptée, on admettra comme vraisemblable qu’il était crénelé, et comme évident qu’il livrait passage au moins à deux portes corres¬ pondantes à l’axe des deux ponts. Peut-être y avait-il deux autres portes vers les pointes orientale et occidentale de l’île. C’est ce qu’on ne saurait prouver. Les anciens textes parlent vaguement de portes, mais aucun n’en désigne le nom¬ bre, ni les noms, ni l’emplacement.
Le mur d’enceinte était-il flanqué de tours à l’extérieur? Ces tours étaient-elles de forme ronde, semi-circulaire ou carrée ? C’est une double question que des dé¬ couvertes ultérieures pourront seules résoudre, .le pencherais à leur attribuer la forme carrée, parce que, si ma mémoire me sert bien, cette forme domine dans les clôtures antiques représentées sur des bas-reliefs, ou subsistantes encore dans des villes de fondation romaine.
t-
De la Marre affirme l’existence de ces tours, mais sans en donner la moindre preuve. Dans la charte citée plus haut (p. 7), nous avons remarqué ces mots :
« inter portam civitatis et turrim. » Cette charte étant admise comme authentique, je ne sais s’il est permis de conclure que cette tour flanquait le mur d’enceinte.
Le vers d’Ahbon (p. 6) « Digressique foras nostri circumdare turres » ne décide pas encore la question. 11 s’agit probablement ici des tours de charpente qui fortifiaient le pont dit : de Charles le Chauve, tours près desquelles se passè¬ rent tous les épisodes sanglants du siège de 885 à 86.
Des preuves matérielles viendront-elles à notre secours? Sauvai est, je crois, le premier auteur qui ait songé à signaler comme partie accessoire de la clôture de la Cité, une ancienne tour carrée, sise rue de la Pelleterie, en 1392, non loin de S. Denis-de-la-Chartre, et détruite de son temps. Jaillot présume quelle était située près de la rivière, à dix toises environ de cette rue. On la nommait autrefois tour Marque pas, et plus tard tour Rolland , comme écrit Lebeuf et autres, ou Raoulant, selon Sauvai (III, p. 4-2).
On doit être méfiant nu sujet des anciennes tours dont il ne reste ni vestiges ni dessins. Les auteurs des XVIe et XVIIe siècles étaient de fort mauvais juges en archéologie, même quand ils parlaient de visu. Les vieilles tours carrées , que notre siècle peut apprécier, se trouvent toujours être des donjons d’hôtels ou des cages d’escalier. Dans la cour d’une maison, rue Chanoincsse, 18, il en existe une qui,
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
9
vue de la rue, affecte un air d’antiquité qui se dissipe de près; c’est une bâtisse du XVe ou du XVIe siècle, contenant un escalier. Quand je la visitai en 1840, le por¬ tier me confia que j’avais sous les yeux une partie du palais du roi Dagobert ou de Charlemagne ! Sauvai en eût fait volontiers une tour d’enceinte de la Cité; de son temps, on était sur ce point fort accommodant. Je suis même étonné que l’édifice octogone du cimetière des Innocents n’ait pas été cité aussi à titre de tour d’en¬ ceinte, puisqu’on s’est bien avisé de le faire passer pour un phare établi... au milieu d’un bois 1 !
Je me sens donc tout disposé à rejeter cette tour de Marquefas que l’archéologie moderne n’est plus à même de juger.
Robert de Vaugondy ( Tablettes , p. 9) admet que les murs et les tours du Palais pourraient bien avoir été bâtis sur cette première clôture, et il signale une grosse tour sise rue S. Louis (aujourd’hui quai des Orfèvres), près du pont S. Michel, comme une des sœurs de la tour Marquefas. Celte tour ronde figure sur plusieurs plans, notamment sur celui de Mathieu Mérian. Du reste, de Vaugondy n’affirme rien, et se garde bien de décrire l’objet de son hypothèse. Il est probable que cette tour, comme celles qui subsistent encore sur le quai de l’Horloge, datait à peu près du temps de Philippe le Bel.
L’enceinte de la Cité subsistait encore en 886, comme l’atteste le poème d’Ab- bon. A quelle époque a-t-elle disparu? Il est croyable qu’il n’en existait plus aucune partie sous Ph. Auguste, puisque les écrivains contemporains n’en font pas mention. Après la retraite définitive des Normands, on l’aura jugée inutile et remplacée par une enceinte plus étendue, embrassant les quartiers situés sur la rive droite, et peut-être aussi les faubourgs de l’autre rive. Aune époque qu’on ne peut préciser , ce mur, vendu ou livré au bon plaisir des propriétaires rive¬ rains, aura été exploité comme une carrière de pierres. C’est le sort réservé, tôt ou tard, à toutes les clôtures de ce genre.
II. — Première enceinte de la Tille.
( Rive droite. )
L’histoire de cette clôture ne s’appuie guère que sur des hypothèses. Les histo¬ riographes parisiens l’admettent pour la plupart, mais n’en parlent qu’avec un vague désespérant. Aucun d’eux n’est parvenu à prouver ses limites, ni l’année de sa fondation , ni sa forme, ni même l’époque où elle fut effacée du sol. Jus-
' Si j’en avais le loisir, je ferais un livre intitulé : des bévues archéologiques relatives au vieux Paris. Le volume serait plus gros que celui-ci. Je n’oublierais pas toutes ces prétendues habitations de personnages célèbres, consignées dans les historiens anecdotiers.
10
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
qu’ici nul vestige matériel et authentique n’est venu à l’aide de l’antiquaire , quoiqu’on ait fait souvent des fouilles profondes dans les diverses localités que plusieurs auteurs assignent à son passage. On a allégué, pour attester ou nier son existence, une multitude de raisons bonnes ou mauvaises ; on a produit des chartes ou d’anciens récits plus ou moins dignes de confiance. Pour moi, je n’ai à présenter sur cette matière aucun document nouveau. Je me bornerai donc à exposer avec lucidité, à analyser avec concision tout ce qui a été mis en avant jusqu’ici sur ce sujet obscur; et d’abord je m’occuperai delà rive droite.
Du Breul (édit. 1612, p. 846) 1 cite une charte de Lothaire, accordée (vers 980) aux Religieux de S. Magloire, où il est question de leur chapelle S. Georges, attenante à leur cimetière alors situé dans la rue actuelle de S. Magloire 2. Il est dit dans l’acte que cette chapelle est bâtie « in suburbio Parisiaco , non procul à « mœnibus. » Il ne s’agit pas ici du gros mur distant de ce point d’environ 85 toises vers le nord, mur attribué par tous les historiens à Philippe Auguste (1 190). D’ail¬ leurs cette chapelle, étant dans le faubourg (in suburbio), devait être en dehors de l’enceinte. Il s’agit donc, soit du mur qui entourait la Cité, soit d’un autre, placé entre cette chapelle et la Seine. Si l’on admet qu’on désigne celui de la Cité, on conviendra que ces mots : non procul à mœnibus, ne sont guère justes, puisque, de la chapelle au point le plus voisin du rivage de la Cité, on compte, selon Ver- niquet, environ 354 toises. Mauperché (p. 79) adhère à cette interprétation en se fondant sur un acte analogue que j’ai cité page 6, acte où il est question de l’église S. Vincent, située propè muros civitatis, quoiqu’elle en fût aussi très-éloi- gnée. Mais les circonstances sont ici différentes. Entre la Cité et la chapelle S. Georges il existait, en 980, plusieurs localités ou rues très-importantes qu’on aurait pu choisir pour indiquer la position de cette chapelle. Cette charte, inter¬ prétée dans le sens le plus naturel à mes yeux, attesterait l’existence d'un mur d’enceinte qui traverserait la rue S. Denis, à peu près à la hauteur de la rue Aubry-le-Boucher. Reste à savoir si la charte, dont Du Breul ne donne qu’un extrait, est authentique; c’est ce que je ne pourrais affirmer, même quand je l’aurais sous les yeux. Dulaure l’a jugée fausse.
Suger, abbé de S. Denis et ministre de Louis le Gros, mentionne, dans un compte ( rédigé vers 1 145) des revenus de soirabbaye, une maison qu’il avait acquise près d’une des portes de Paris « doinurn quæ super est Portœ Parisiensi
1 Quand je cite le Théâtre des Antiquités de Paris de Du Breul, c’est toujours d’après l’édition de 1612 suivie du Supplément de 1639.
2 Cette chapelle, ainsi que le couvent de S. Magloire (rebâtis depuis 980) passa aux Filles-Repen¬ ties vers 1572, époque où Cath. de Médicis établit sur le terrain de leur couvent primitif son hôtel, qu’a depuis remplacé la Halle-aux-blés.
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIYE DROITE.
11
« versùs S. Medericum. » L’existence d’une porte de ville située rue S. Martin, près S. Merry, paraît donc incontestable. On ne peut y voir une porte de la Cité, ni la confondre avec celle élevée plus au nord, environ 45 ans plus tard, par Pb. Auguste. Raoul de Presle vers 1380, et Corrozet en 1532, en signalent les débris nommés Y archet S. Merry. Guillot, dans son Dit des Rues de Paris (vers 1300), nomme, dans le voisinage de cette église, la rue S. Martin : rue de la Porte S. Mesri. Cette rue, passé celle de la Verrerie, continue sous le nom de : rue des Arcis, sur tous les plans antérieurs à 1851. Or, ce changement de désignation semble indiquer, comme le remarque La Tynna, la limite de Paris à une certaine époque, et le nom des Arcis peut signifier : arcades , par allusion à l’archet S. Merry *.
Cet archet S. Merry est donc un point fixe. Seulement il est permis de dire, avec Sauvai, que l’existence d’une porte de ville n’entraîne pas celle d’un mur d’enceinte. Mais comme cette porte, d’après la suite du texte de Suger, rappor¬ tait des revenus au profit de son abbaye, cette circonstance semble autoriser à croire également à un mur de clôture, car il serait assez difficile de percevoir des droits à une porte isolée de tout mur d’octroi.
Mauperché, qui cite lui-même le récit de Suger, et qui veut s’entêter à nier une enceinte antérieure à celle de Ph. Auguste, cherche à se débarrasser de ce témoi¬ gnage et, malgré l’évidence, soit aveuglement, soit mauvaise foi, il dit (p. 80): « Ce nom d 'Archet S. Merry (cité par Raoul de Presle) prouve que ce n’étoit pas « une porte de Paris, mais, selon les apparences, une porte du cloître de l’église « de S. Merry. » Il oublie que Suger dit positivement : porta parisiensis.
De la Marre (p. 72) cite un titre de 1253 où il est question de la Porte Bau¬ dets joignant les Murs-le-Roy. Cette porte est sans aucun doute celle bâtie vers 1 190, et non celle du même nom, qu’on suppose avoir existé sur la place Baudets , dite aussi, après bien des altérations : Baudoyer. Cette expression : les Murs-le- Roy. , est souvent employée dans d’anciens actes où il est question des murs de Ph. Auguste ou de Charles Y. Plus tard, on les nomma : les murs de la Ville.
Le même auteur cite des lettres-patentes datées d’août 1280, et extraites des Registres du Châtelet, où il est dit « Propè portam Bauderii à domo Joannis des « Carneaux, quæ est de dicto lerfitorio S. Eligii, per quam mûri veteres ire sole- « bant. » S’agit-il ici de la première porte Baudets, ou de la seconde, bâtie en 1190, où nous voyons l’entrée du collège Charlemagne? L’expression mûri ve-
5 Le mot archet signifiait : porte à arcade. On lit dans La Tynna que l’extrémité orientale de la rue des Prêtres-S. -Paul (dite aujourd’hui Charlemagne) se nommait Y Archet-S.-Paul, parce qu’elle aboutissait à la poterne de ce nom. Sauvai cite une rue de l’Archet, près S. Julien-le-Pauvre.
12
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE
teres peut, sans trop dévier de son sens, s’appliquer à des murailles élevées depuis 90 ans ; mais pour expliquer les mots ire solebant, qui expriment un temps passé, il faut supposer qu’en 1280 le murdePh. Auguste avait été déjà, en cet endroit, vendu à des particuliers qui l’avaient démoli pour agrandir leur propriété.
Cette interprétation répugne à la vraisemblance. Si l’on regarde comme au¬ thentiques la teneur et la date de ces lettres-patentes, on admettra que le terri¬ toire de S. Eloy s’étendait jusqu’à la place de la Porte Baudets, et que cet acte de 1280 atteste l’existence, de ce côté de Paris, d’un mur d’enceinte antérieur à celui de Ph. Auguste.
Quelques auteurs ont cru que la première porte Baudets était située rue S. An¬ toine, à la hauteur de la rue de Jouy, parce qu’on signale sur d’anciens titres un vieux mur qui se voyait rue de Jouy. Mais notons que la rue des Prêtres-Saint- Paul (auj. Charlemagne) portait le même nom que cette rue, à laquelle elle fait suite ; on a voulu désigner dans ces titres le mur de Ph. Auguste, qui la traver¬ sait à la hauteur du collège Charlemagne.
Bonamynous a fait connaître (Mém. de V Acad, des Inscr., t. XXXII) une pièce tirée du Trésor des Chartes, qu’il a copiée lui-même. C’est un prétendu devis ou compte des frais du mur élevé sur la rive gauche par Ph. Auguste. Je la citerai plus tard, au chap. vm. Voici le passage qui nous intéresse ici : on y dit que l’enceinte du midi est accompagnée de tours de même épaisseur que le vieux mur qui est du côté de la rive droite; « cum tornellis de spissitudine veteris mûri « ex parte Magni Pontis. » Bonamy remarque que cette expression vieux mur ne peut s’appliquer au mur septentrional de Ph. Auguste, bâti tout récemment (vers 1190), comme l’affirment tous les historiens modernes, et conclut qu’il s’agit d’une enceinte antérieure construite sous la première race '.
Ph. Auguste aurait- il, au lieu de faire construire à neuf le gros mur de cette partie de Paris , réparé seulement un mur antérieur qui aurait servi de modèle pour la clôture projetée du côté de la rive gauche?
Telle est la réflexion que fait naître cet acte. Il renverserait, comme le remarque Du Plessis ( Annales , p. 70), la croyance généralement admise au sujet de l’en¬ ceinte septentrionale attribuée à Ph. Auguste. Du Plessis demande où est la preuve que celte enceinte soit de ce temps; c’est un point que nous discuterons plus tard (voir le chap. ni).
1 Faudrait-il admettre que Louis le Gros, en guerre avec les Anglais, avait fortifié Paris, et que les halles qu’il fit construire étaient placées à l’intérieur d’une enceinte élevée vers le même temps? Bouquet, dans son Mémoire, p. 38, cite un acte de ce roi où il s’agit d’un fossé qui bornait le terrain de Champeaux. Ce fossé aurait-il fait partie d’une fortification générale, dont le nom de la rue des Fossés-S.-Gcrmain-l’Auxerrois serait un souvenir ?
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
13
Tels sont, à ma connaissance, les principaux documents écrits, signalés à l’appui d’une clôture établie sur la rive droite avant celle de Ph. Auguste. Il résulte de leur analyse que la question est encore en suspens. Pour la résoudre, il faudrait exhumer une pièce moins sujette à controverse que celles citées jusqu’à ce jour. Cette pièce, qui seule pourrait éclaircir tous les doutes, est peut-être cachée à cette heure au fond de nos Archives : c’est vers ce document inédit que devra diriger toutes ses recherches celui qui voudra refaire ce chapitre.
Il est encore, sur ce sujet, une sorte de preuves qui nous manque tout à fait; je veux parler de découvertes matérielles. On lit dans la Cosmog. univ. de Belleforest, t. I, p. 179 : «En diuers endroits de la ville, on voit les marques de « l’accroissement d’icelle, si comme vers la Monnoie... puis fut fermée iusques « au lieu qu’on nomme l’archet S. Merry. » Veut-il dire que de son temps (1575) on voyait encore des restes d’un vieux mur d’enceinte près de la Monnaie, alors située dans la rue actuelle de la Vieille-Monnaie?
Sauvai a prétendu, mais à tort, avoir trouvé deux tours qui se rattachaient à cette clôture; l’une est détruite depuis longtemps, l’autre a subsisté jusqu’en 1 843 : j’en parlerai plus bas, dans le cours du présent chapitre.
Je vais maintenant m’occuper des hypothèses plus ou moins probables qu’on peut émettre sur l’existence de cette enceinte.
La plupart des historiographes parisiens l’ont admise, pour ainsi dire, par in¬ stinct, car la ville de Paris a toujours possédé des faubourgs trop considérables pour qu’on puisse supposer, même sous la première race, qu’ils fussent dépourvus des moyens de défense généralement adoptés 5 cette époque.
Grégoire de Tours, historien contemporain du sixième siècle, s’exprime ainsi ( Gloria confessorum ) : «Ingrediente autem Chilperico rege in urbem Parisiacam, « postridiè quàm rex ingressus est civitatem. » Le mot urbem désigne pro¬ bablement la rive droite de Paris, ville déjà importante1. Peut-être même appelait-on déjà spécialement Paris cette partie de la capitale des Parisiens.
Avant les ravages des Normands, Paris était une ville riche et peuplée ; aussi, quand ces dévastateurs résolurent d’en faire le siège, se présentèrent-ils en grand nombre, puisqu’on évalue leur armée à trente ou quarante mille hommes. Bonamy, dans une Dissert. (. Mém . de l’ Acad, des Iriser. XV), accumule les preuves de l’état florissant deParis au IXe siècle. Voici les principales : — existence d’un Palais royal;
> Grégoire de Tours ne parle nulle part d’une clôture de la rive droite, partie de Paris appelée proprement : la Ville. Ce silence doit peut-être s’interpréter ainsi : il s’est cru dispensé de consigner un fait que, dans sa pensée, la postérité ne mettrait jamais en doute, vu qu’une enceinte était, de son temps, réputée l’accessoire indispensable d’une ville, de sorte que le mot ville (urbs ou oppi¬ dum) renfermait l’idée d’une enceinte fortifiée.
14
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
— lettre de Foulques, archev. de Reims, à Charles le Gros, dans laquelle il nomme Paris la capitale de Neustrie et de Bourgogne; ■ — associations très-importantes de commerçants ; — affluence d’étrangers à la Foire de S. Denis ; — tableau imposant qu’ont tracé de ses richesses Hilduin, abbé de S. Denis; Adreval, moine de l’abb. de Fleury-su r-Loire; enfin Àbbon, qui, en 886, personnifiant la ville de Paris, lui prête ces paroles: Sum polis ut regina micans omnes super urbes ; et, un peu plus loin, l’apostrophe ainsi : Quisque cupiscit opes Francorum te veneratur. On pourrait objecter que c’est une exagération poétique (si poésie il y a) ; néanmoins, on doit conjecturer qu’à une époque où existaient déjà au nord de la ville des abbayes ou églises considérables, telles que S. Gervais, S. Germain-le-Rond (depuis : l’Auxerrois), S. Laurent, la Basilique de S. Martin-des-Champs , etc., cette partie de Paris devait être digne d’un rempart.
Dans le Poème d’ Abbon, on voit tous les efforts des assiégeants se porter vers la Cité, parce qu’ apparemment toutes les richesses des faubourgs s’y étaient réfugiées. On peut donc douter que la rive droite fût fortifiée en 886; cependant, comme on lit qu’à diverses reprises nos ennemis, avant et après cette époque, ne pouvant forcer le passage sur la Seine, transportaient leurs barques à terre pendant l'espace de deux milles, puis les remettaient à flot au-dessus de Paris, et ainsi au retour, on est amené à croire qu’ils faisaient, du côté de la rive droite, le tour d’une clôture assez étendue, renfermant les faubourgs de la ville.
Les historiographes parisiens ont donc, je le répète, se fondant sur les citations et les raisonnements que je viens d’exposer, admis une clôture, qu’il y aurait, pour ainsi dire, nécessité d’inventer, en l’absence de preuves positives. On lit dans les Annales de Du Plessis, page 9 : « Il est certain que sous la première Race de nos « rois, une partie des fauxbourgs étoit déjà ajoutée à l’ancienne Ville, au moyen « d'une enceinte de chaque côté. » Le mot certain est trop affirmatif ; conten¬ tons-nous de l’expression : très-vraisemblable . Quant à l’existence d’une clô¬ ture méridionale, à laquelle se rapporte aussi le mot certain, elle est encore bien moins prouvée que celle de la rive droite, comme je le dirai bientôt.
A mon avis, les deux documents les plus solides sur lesquels puisse s’appuyer la démonstration d’une enceinte septentrionale, avant Ph. Auguste, c’est la charte de 980, au sujet de la chapelle S. Georges (voy. p. 10), et le passage de l’abbé Sugcr, où il s’agit d’une porte de Paris voisine de Saint-Merry et située au point où la rue des Arcis fait suite à celle S. Martin, porte où l’on percevait des droits au profit de l’abbaye de S. Denis. Quant aux autres prétendues preuves, elles se réduisent à des conjectures, ou à des méprises.
L’existence de cette première clôture du nord supposée certaine, à quel siècle l’attribuer? Sera-ce à l’époque de la domination romaine? Il est raisonnable de
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
15
croire que, deux ou trois siècles après la conquête de J. César, ce côté de la Seine ait été assez important pour mériter un mur d’enceinte tout aussi bien que la Cité. Mais on se demande comment à aucune époque on n’en a trouvé la moindre trace. Sans doute, au moyen âge, on a pu en employer les matériaux à d’autres constructions, surtout après l’achèvement de la nouvelle clôture de Ph. Auguste; mais qu’il n'en reste aucun vestige, même souterrain, voilà ce qui étonne. On a pourtant souvent sondé profondément le sol à des endroits où l’on suppose que ce mur existait, du côté du Grand-Châtelet, des Halles et de S. Gervais (voir la note, page 2) ; or, on n’a jamais signalé la moindre découverte, soit que personne n’eût songé à rechercher les traces de ce mur antique, soit qu’il eût été construit fort légèrement, contre l’habitude des Romains; soit encore que Ph. Auguste (hypothèse inadmissible) eût établi son mur d’enceinte sur les fondements de celui-ci; soit enfin qu’il n’eût jamais existé.
Sauvai le croit de construction romaine, et comme, emporté par son imagina¬ tion, il se contredit souvent ; il regarde comme des accessoires qui ont survécu à sa ruine, des tours de construction ogivale, dont je vais parler quelques pages plus bas.
L’abbé Lebeüf, frappé sans doute de l’idée qu’une enceinte romaine aurait laissé des traces, admet quelle était l’ouvrage des Francs : « C’étoient vraisem- « blablement des murs bâtis moitié de bois sur des fondemens peu épais et peu « profonds : c’est pourquoi ils furent facilement réduits en cendres dans les « différens passages des Normans; et c’est la raison pour laquelle on n’en peut « rien montrer. Tout ce qui en fut conservé fut l’allignement sur lequel on assît « les murs qu’on refit par la suite » ( Dissertations , t. I, p. 31).
Cette dernière phrase semble donner à entendre que l’enceinte septent. de Ph. Auguste fut établie sur la trace d’une autre plus ancienne. Ce système pren¬ drait, en effet, quelque apparence de consistance si on l’étayait sur l’interpréta¬ tion de plusieurs pièces telles que celle exhumée par Bonamy (voyez p. 12); mais il serait bientôt détruit par des récits contemporains, qu’il n’est point permis de rejeter. Au reste, admettre que Ph. Auguste bâtit son mur septentrional sur les ruines d’une enceinte précédente, ce n’est pas nier l’existence d’une autre en¬ ceinte encore antérieure et moins étendue. Mais rien dans les écrits de Rigord et de Guillaume le Breton, historiens contemporains, n’indique que ce roi en ait usé ainsi; il en résulte, au contraire, qu’il renferma dans une clôture neuve des faubourgs et des pièces de terre qui se trouvaient hors de la ville, ce qui exclut l’idée du simple renouvellement d’un ancien mur. Il est particulier que ces his¬ toriens, qui l’ont vu construire, ne parlent pas de l’enceinte qui aurait précédé celle qu’ils décrivent, ne fût- ce qu’à titre de comparaison, pour faire mieux
16
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
valoir par le contraste l’importance de cet agrandissement de Paris. Nulle pari ils n’emploient l’expression enceinte nouvelle. Il est donc à croire que, dès cette époque, l’ancienne était détruite sur toute la ligne, ou cachée, à l’insu de tous, au milieu des îlots de maisons 1 .
L’époque où fut élevée cette première clôture de la rive droite, dont l’existence est très-vraisemblable sinon prouvée, est un point tout à fait incertain. Les uns l’attribuent aux Romains, les autres à Hugues Gapet et à Louis le Gros. Le plus sage, à mon avis, est de rester neutre en attendant des documents précis, s’il doit en venir. Pour satisfaire tout le monde, j’admettrais volontiers qu’elle était l’ouvrage de plusieurs époques; que, construite sous les Romains, elle fut à divers intervalles réparée, renouvelée, peut-être même reculée, selon le besoin, sur certains points. On supposerait qu’au Xe siècle ce mur antique ou gallo-ro¬ main, çà et là démantelé par les Normands ou lézardé par le temps, commençait à tomber en ruines, et qu’on l’aura laissé en cet état à l’approche de ce terrible an 1000, terme assigné, par la croyance universelle, à la fin du monde, et cause d’un découragement général. Passé la fatale limite, on voit les peuples re¬ naître à l’espoir et à l’activité; alors furent renouvelés les édifices délabrés; mais au lieu de relever les débris de l’enceinte, on la convertit, ainsi que celle de la Cité, en une sorte de carrière de pierres, dont on tira des matériaux pour reconstruire les églises; la ville de Paris, en veine de croissance, dépassa les li¬ mites effacées de sa vieille enceinte, de sorte que sous Ph. Auguste, devenue une ville ouverte, elle avait déjà perdu le souvenir de l’emplacement où passaient ses anciens murs.
Mais trêve aux hypothèses qui ne parlent qu’à l’imagination. Pour en faire une dernière et prendre un parti, je supposerai cette enceinte détruite vers l’an 1200, puisque les historiens de Ph. Auguste n’en parlent pas et n’accordent pas à celle de ce roi l’épithète de nouvelle.
Je vais maintenant indiquer les divers tracés de plusieurs auteurs relativement à la première enceinte septentrionale, mais sans adopter aucun système, et sans la moindre velléité d’en construire un nouveau. Je répète avant tout que je n’ai jamais rencontré le moindre reste authentique de ce mur de clôture sur aucun point des diverses lignes que plusieurs auteurs ont assignées à son cours. Au¬ jourd’hui même (janvier 1852) on voit des fouilles profondes à la place où passait la rue de la Tixcranderie. Quelques vestiges d’un mur épais mais isolé, décou-
' Sauvai avance que les deux portes nommées Baudets ou Baudoyer ont existé simultanément, et, Ramond du Poujet, que la première enceinte septentrionale subsistait encore sous Louis le Jeune (1157 à 80). Mais ces assertions ne sont pas accompagnées de preuves.
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIYE DROITE.
17
vert, m’a-t-on dit, vers l’extrémité sud de la rue des Mauvais-Garçons, ne peu¬ vent passer pour un échantillon de l’enceinte qui nous occupe.
Sauvai, qui écrivait vers 1660, est, je crois, le premier auteur qui se soit avisé de tracer la marche hypothétique d’une clôture delà rive droite, antérieure à celle de Ph. Auguste, et de construction romaine. Il la fait commencer à la porte Baudets ou Baudoyer, près la place de ce nom, ou aux environs, sans déter¬ miner de quel point du rivage de la Seine partait le mur qui joignait cette porte. De là il la conduit, sans indication précise, jusqu’à une vieille tour carrée, dite du Pet-au-Diable , derrière S. Jean-en-Grève ‘, puis de là à une autre vieille tour qui se voyait de son temps au logis de M. Honoré Barentin, rue des Deux-Portes, entre les rues delà Verrerie et de la Tixeranderie. 11 dirige ensuite son mur d’en¬ ceinte vers S. Merry, proche l’église, où était la porte citée par l’abbé Suger; puis, à la hauteur de la rue S. Denis, il lui fait faire un brusque retour d’équerre, et le fait aboutir au bas de cette rue, à la place actuelle du Châtelet.
Ce tracé de Sauvai offre cinq points bien arrêtés qui servent de base à son sy¬ stème. La place Baudets ou Baudoyer (nom qui a prévalu) est un carrefour qu’on nommait autrefois la Porte Baudets ou Baudoyer , comme s’il y avait là une en¬ trée de Paris. On a donc, depuis des siècles, admis, sur le témoignage du nom de la place et de la tradition orale, qu’il en avait existé une à une époque indéter¬ minée. Au reste, aucune découverte matérielle n’est jamais venue à l’appui de cette tradition fort acceptable. Mais il est important, je le répète, de ne pas con¬ fondre la première porte Baudets avec celle du même nom bâtie sous Ph. Au¬ guste, rue S. Antoine, à la hauteur du collège Charlemagne. La première ( porta Bagauda ) était de construction romaine, suivant De la Marre, qui lui donne une bizarre étymologie. (Yoy. ma description des portes, à la suite de ce livre.) Ce n’est que sous Louis XV au plus tôt qu’on a écrit place au lieu déporté. On lit sur le plan de Du Cerceau, 1560 : Porte Baudest; sur celui de Mérian, 1615 : Porte Baudets; sur ceux de Gomboust et de Bullet, 1652 et 1672 : Porte Baudoyer et Bodoyer, etc. La plupart des auteurs parlent d’une porte sise en ce lieu ; mais au¬ cun n’a pu préciser son emplacement. Peut-être la véritable désignation fut-elle primitivement Y Apport (marché) Baudets. Corrozet (1561, f. 68, v) parle du cimetière S. Jean , près Y apport Baudoier ou porte Baudes.
La tour dite du Pet-au-Diable n’a jamais pu faire partie d’une clôture, sur¬ tout antérieure au douzième siècle. On a peine à concevoir que De Vaugondy et Dulaure aient adhéré à cette méprise de Sauvai, relevée par Lebeuf, Jaillot, Mau- pqrché et autres. Lebeuf ( Dissertations , I, p. 29) est d’avis que cette tour « ne
’ Je conseille ici au lecteur d’avoir sous les yeux un plan de Paris du XVIIIe siècle.
3
18
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE
démontre qu’une antiquité de quatre ou cinq siècles» (il écrivait en 1739). Cette remarque faisait honneur à son bon goût, mais il en gâte tout le mérite en ajou¬ tant qu’elle était voisine de la porte Baudets, et qu’il la reconnaît volontiers comme « bâtie sur les f'ondemens d’une autre ancienne tour de la première en¬ te ceinte, et peut-être même d’une des deux tours qui dévoient former la porte « Baudoyer. » Cette hypothèse est inadmissible, vu que cette tour était située à environ 75 toises de la place de ce nom.
Mauperché (p. 81) fait la remarque que «les gros quartiers de pierre dont la « tour du Pet au Diable est composée, indiquent qu’elle n’est pas à beaucoup près « aussi ancienne que la clôture de Ph. Auguste. » Il donne pour raison que sous ce roi on n’employait que de très-petites pierres, comme on en voit à son mur d’enceinte. Il suffit d’examiner les parties de Notre-Dame élevées au XIIe siècle, pour se convaincre qu’on faisait usage également de pierres plus grosses. C’est donc au style de son architecture qu’il faut demander la preuve de sa date.
J’entrerai, au sujet de cette tour, dans quelques détails, d’autant plus volon¬ tiers qu’elle a disparu tout entière. (On la voit indiquée sur les anciens plans de Braun et de Du Cerceau.) Je l’ai visitée plusieurs fois, et en dernier lieu en oc¬ tobre 184-3, époque où l’on procédait à sa démolition, afin de dégager les abords de l’Hôtel-de-Ville. Elle se trouvait dans la cour d’une maison de la rue Lobau (ci-devant : du Tourniquet-S. -Jean , et autrefois : du Pet -au -Diable). Sous Louis XY, elle faisait partie d’un hôtel dit de Sainte-Mesme *, mais plus ancien¬ nement elle était une dépendance d’un Hôtel dit de la Tour, appartenant, selon Sauvai (I, p. 21), au connétable Valeran de Luxembourg.
Dans la cour de cet hôtel, devenu une maison fort vulgaire, on voyait, du côté du nord, un corps de logis élevé du sol d’environ 20 mètres. C’était la tour en question, mais méconnaissable, replâtrée, avec des fenêtres repercées; le tout coiffé d’un toit fort ordinaire, sans nulle trace de créneaux ou de mâchicoulis.
Elle passe pour avoir été donnée, à une certaine époque, aux Juifs du quartier. De là sa dénomination de Synagogue, de Vieux-Temple 2 de Pet-au-Diable , sobri¬ quet qu’au moyen âge, en plusieurs lieux de France, on donna aux temples païens, et plus particulièrement aux synagogues.
1 Rrice et Piganiol parlent de cet hôtel ; mais au lieu de décrire la tour, ils signalent particuliè¬ rement une remise (bâtie sous Louis XV) qui excitait l’admiration des architectes du temps. Onvla voyait encore en 1840, à droite en entrant. Son plafond était formé d’une voûte mince et plate d’une seule pierre. Elle a été gravée en 1733 par Joseph de La Marche. (Voir Cab. des Est., quartier de rilôtel -de-Ville).
“Cette tour, dit Dulaure, a pu appartenir aux Templiers, qui avaient en ce lieu un hôtel appelé
le Vieux-Temple.
PREMIERE ENCEINTE 13E LA RIYE DROITE.
19
On lit dans une Description de Paris, écrite en 1434 par Guillebert de Metz ' , le passage suivant : « Deuant lostel de l’Amiral lez S. Jehan (en Grève) estoit une « diuerse grosse piere de merueilleuse façon que len nomme le Pet au Deable. « Sauvai (t. I, p. 157, et IY, 425) cite un arrêt du Parlement, du 15 nov. 1451, pour s’informer de la pierre dite : du Pet-au-Diable. Cette pierre, ornée de sculp¬ tures, d'après l’expression de Guillebert, était peut-être un ancien autel païen, exhumé par nos ancêtres, qui l’auront nommé Pet-au-Diable, par opposition ironique à : Encens à Dieu ; et il est possible que la tour voisine du lieu de la dé¬ couverte en ait pris le nom.
Cette tour s’annonçait, dès le premier coup d’œil, comme le donjon défiguré d’un ancien hôtel. Elle avait, à l’intérieur, assez de ressemblance avec une autre, encore debout au cloître S. Jean-de-Latran, nommée tour Bichat, parce que ce célèbre anatomiste l’avait habitée. Sa forme était un carré plus long dans le sens de l’est à l’ouest que dans le sens opposé. Son rez-de-chaussée, devenu souter¬ rain, servait de cave en 1838. Son plafond consistait en deux voûtes dont les arêtes doublées, garnies de nervures et alternativement ogivales et cintrées, retom¬ baient d’une part sur le gros mur, de l’autre sur un pilier centrai à fût cylindri¬ que uni, avec un chapiteau sans ornements. L’étage supérieur, servant de magasin, était voûté de même, saut que les arcs étaient tous de forme ogivale. Quant aux deux ou trois autres étages, les plafonds ainsi que les fenêtres avaient été refaits. L’escalier conduisant à chaque étage était moderne et construit en dehors de la tour.
La loge du portier était attenante à la face orientale du bâtiment; sur un des pieds-droits de la porte de cette loge , à un mètre du soi, on voyait un petit bas- relief assez fruste, sculpté sur une pierre probablement rapportée. 11 représentait Jésus crucifié, entre Marie et Madeleine ; sa forme était un carré arqué au-dessus de la tête du Christ. Cette pieuse sculpture aura peut-être été exécutée sur un des murs de l’ancien hôtel, à l’époque où la tour cessa d’être une synagogue, dans le but d e purifier la localité.
On arrachait les fondements de la tour en octobre 1843. L’entrepreneur de la démolition (M. Guichard) me montra un petit écu d'or à l’agnelet, qu’il venait de trouver, et m’assura n’avoir rencontré, en fait d’ornements, qu’une croix de Lor¬ raine surmontée d’une couronne, le tout sculpté au-dessus d’une porte. On voyait, parmi les décombres, des fragments de briques plates, ornées de dessins en creux en forme d’étoiles. Voilà tout ce que j’ai pu voir ou savoir de la tour du Pet-
1 Ce carieux manuscr. se voit à la Bibliot. des ducs de Bourgogne, à Bruxelles (voir ma Notice sur Gilles Corrozet, 1848, in— 8°) .
20
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
au-Diable, donjon du XIIe ou du XIIIe siècle, comme il en existait beaucoup à Paris.
Venons à l’autre tour, celle du logis de M. Barentin, tour détruite vers 1685 ou en 1702. Le plan de Gomboust (1652) indique ce logis, mais on n’y remarque ni le plan ni l’élévation de la tour. Sauvai la décrit en termes bien vagues : « une « grosse tour carrée qui ressemble à une forteresse des siècles les plus reculés , et « à une tour de clôture plus qu’à toute autre chose. » En fait d’ancienne archi¬ tecture, il n’est pas sûr de se fier à l’appréciation de Sauvai. Cette tour était fort probablement, commel’autre, un vieux donjon, puisque, selon De la Marre (p. 73), elle était semblable à celle du Pet-au-Diable. Ce dernier auteur, qui écrivait vers 1700, ajoute qu’on la voyait encore « il n’y a pas vingt ans. »
Ce donjon figure sur les plans de G. Braun, de Du Cerceau et de Belleforest ' . Sur celui de Du Cerceau, on y remarque quelques détails omis sur la copie de Dheulland. Il offre l’aspect d’un énorme bâtiment carré, à deux étages, avec un toit élevé, percé d’une lucarne. Les quatre fenêtres de la face occidentale parais¬ sent de forme gothique, à deux compartiments.
Quant à la porte de ville, que Sauvai admet en la rue S. Martin, près de S. Merry, son existence me paraît incontestable. (Voy. plus haut, p. 11.)
Il nous reste un cinquième point à examiner : l’existence d’une porte dite : de Paris , au bas de la rue S. Denis. Une petite place qu’on voyait autrefois à l’ex¬ trémité de cette rue, devant le Grand-Châtelet, s’est nommée de temps immémo¬ rial, tantôt 1 e port ou Y apport (marché)-Paris, tantôt la porte Paris. Sur le plan de Boisseau on lit Port, sur celui de Bullet : porte. Sauvai, d’accord avec Corro- zet, soutient, contre Du Breul, qu’on doit dire : porte. De la Marre est du même avis et appelle vaguement en témoignage les anciens titres. On comprend qu’il a pu en effet exister autrefois en ce lieu une porte fortifiée qui formait la tête du Grand-pont, et qu’a depuis remplacée le Grand-Châtelet; mais cette porte n’a pu avoir d’usage qu’au temps où Paris était renfermé dans la Cité. Considérée comme dépendance d’une enceinte de la rive droite, sa position ne s’explique pas. Son ouverture faisait-elle face à une rue parallèle à la Seine ou à la rue S. Denis? Et puis, comment admettre que cette rue S. Denis qui fut, dès les temps les plus reculés, une grande chaussée aboutissant au Grand-pont, garnie de maisons qui formaient un faubourg important, ait été limitée d’un côté par un mur d’enceinte et réduite à l’état d’un chemin de ronde intérieur? Aussi la plu¬ part des auteurs qui ont écrit après De la Marre ont-ils senti le besoin de tracer
' J'ai lu dans un article du Siècle (4 août 4851) qu’il y eut là un palais habité par la reine Blan¬ che, veuve de Philippe VI, puis par Tanneguy du Chastel, et enfin par Sully.
PREMIÈRE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
21
ce mur plus loin vers l’ouest, de manière à ce que la corde de l’arc de la clôture du nord fût parallèle à la longueur de la Cité ; aussi ont-ils supprimé cette porte de Paris, ou du moins ne l’ont-ils pas attribuée à l’enceinte de la rive droite. Il est incroyable que Lebeuf ait, sur ce point, adhéré à l’opinion de Sauvai.
De la Marre donne de cette clôture un tracé analogue à celui de Sauvai , mais avec un peu plus de détails. « Elle commençoit (dit-il, t. I, p. 72) à la Porte de « Paris, continuoit le long de la rue S. Denys, où il y avoit une porte 1 proche la « rue des Lombards ; passoit ensuite entre cette rue des Lombards et la rue « Troussevache, au Cloistre S. Médéric, où il y avoit une autre porte; tournoit « parla rue de la Verrerie, entre les rues Bardubec et des Billettes ; descendoit « rue des Deux Portes ; traversoit la rue de la Tixeranderie et le Cloistre S. Jean, « proche duquel estoit une troisième porte, et finissoit sur le bord de la rivière, « entre S. Jean et S. Gervais. »
Bonamy (Mém. de l’Ac. des Inscr ., t. XV et XVII) critique cette hypothèse et assigne à l’enceinte une marche plus conforme au bon sens. Il la fait commen¬ cer au For-l’Evêque, vis-à-vis la rue actuelle du Harlay, qui était la limite occi¬ dentale de la Cité; elle longe ensuite le cimetière des Innocents, traverse la rue S. Denis, où il place une porte qui n’est pas invraisemblable; continue jusqu’à la Porte S. Merry, gagne la rue S. Antoine, près la Vieille-rue-du-Temple, et aboutit au port au blé, entre les rues des Barres et Geoffroy-Lasnier. Bonamy rejette ainsi, et avec raison, la Porte-Paris et les deux tours carrées dont j’ai parlé ci-dessus.
Bobert de Vaugondy, influencé par les remarques de Bonamy, a placé son en¬ ceinte à peu près sur la même ligne; mais il n’a pu éviter l’écueil des deux tours mises en avant par Sauvai, et c’est pour les rencontrer qu’il la fait aboutir à un point plus rapproché de l’Hôtel-de-Ville. Il admet, opinion singulière ! que de ce côté de Paris le vide formé par la démolition du mur est représenté par le passage même des rues dont il fait les limites de sa clôture. Aussi s’est- il cru dispensé de l’indiquer par une ligne sur son plan qui porte le tracé des enceintes postérieures à celle-ci. Cette assertion est vague et ne s’appuie sur rien ; il suffit de suivre son système avec un plan de Paris sous les yeux, pour le rejeter.
Voici le texte de R. de Vaugondy (Tablettes paris., p. 10) : « Cette clôture pa- « roît avoir commencé au bord de la rivière, à peu près où est la rue des Plu- « mets, passoit près la place Baudet, où étoit une porte de même nom, alloit «joindre dans le cloître S. Jean une tour quarrée, qui existe encore sous le nom
1 Aucun acte ne mentionne cette porte : elle a dû cependant exister, mais pas dans l'hypothèse que la rueS. Denis, l’ancienne grande route du Nord, eût été un simple chemin de ronde intérieur.
22
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE DROITE.
« de Pet au Diable, et qui l’a donné à la rue voisine ; continuoit par la rue des « Deux Portes jusqu’à une tour qui y existoit encore, il y a quelques années , se- « Ion Sauvai et Delamarre ; puis, suivant le cloître de S. Merry, traversoit la rue « S. Martin dans un lieu appellé l’Archet S. Merry, qui étoit une porte près l’é— « glise de même nom ; passant ensuite vers les rues Troussevache et des Lom- « bards, traversoit la rue S. Denis, où il y avoit une porte, renfermoit S. Op- « portune, et tournoit par les rues des Deschargeurs et Bertin Poirée, pour aboutir « sur le quai de la Mégisserie, proche le Fort l’Evêque. »
Voici le système de La Tynna (édit. 1816, p. xxxi) sur ce mur de clôture, qu’il croit bâti sous Hugues Gapet : « Il commençait sur le bord de la Seine, en face de « la rue Pierre-à-Poisson, et se dirigeait le long de la rue S. Denis jusqu’à la « rue des Lombards, où l’on trouvait une porte (nous avons fait d’inutiles efforts « pour découvrir si la porte Perrin-Gasselin, mentionnée dans le rôle de 1313, « était une ancienne porte de la ville) ; il passait ensuite entre les rues des Lom- « bards et Troussevache jusqu’à la rue S. Martin, où il y avait encore une porte, « nommée depuis l’Archet S. Merri ; ce mur de clôture traversait ensuite le cloî- « tre S. Merri, coupait les rues du Renard, Barre-du-Bec, et aboutissait rue des « Rillettes, où il y avait vraisemblablement une porte ; il longeait ensuite la rue des « Deux-Portes, traversait la rue de la Tixeranderie et le cloître S. Jean, près du- « quel était encore une porte, et finissait en droite ligne au bord de la Seine. »
Ramond du Poujet, dans sa Notice sur les enceintes de Paris (1818), a suivi à peu près la marche de Sauvai, et de De la Marre.
Voyons enfin la ligne que Dulaure assigne à la première enceinte septentrio¬ nale, qu’il attribue à Louis le Gros. Ses conjectures sont fondées sur la courbure ou sur la dénomination de certaines rues.
Son mur part dans le voisinage de S. Germain-l’Auxerrois , enserrant cette église et ses dépendances, suit la direction des rues des Fossés-S. -Germain, de Béthisy, des Deux-Boules, des Chevaliers- du-Guet et de Perrin-Gasselin. Rue S. Denis, il est percé d’une porte peu distante du Grand-Châtelet, et continue à suivre les rues d’Avignon et des Ecrivains, traverse la rue des Arcis, où se trouve la porte nommée par l’abbé Suger. De là, il suit la rue Jean-Pain-Mollet, traverse le nord de la place de Grève, touche à la tour du Pet-au-Diable, et, de ce point, va joindre le quai. Ici, Dulaure est fort indécis et ne sait où placer la Porte Baudet, ni à quel point du rivage faire aboutir son mur.
Ce système me semble être de tous le moins adoptable ; figuré sur un plan, il répugne à la raison. Conçoit-on que Louis le Gros construise, vers 1135, un mur d’enceinte à une si petite distance de la Seîne, que Ph. Auguste, un demi- siècle plus tard, sera obligé de le reculer bien plus loin vers le nord? Il serait plus
PREMIERE ENCEINTE DE LA RITE GAUCHE.
23
raisonnable de croire que Louis le Gros aurait fait élever le mur même qu’on attribue à Ph. Auguste, et de soutenir que ce dernier roi se borna à le réparer en 1190. Mais attribuer à Louis le Gros une clôture si resserrée, qu’elle laissait en dehors de riches faubourgs, et même le marché qu’il avait établi ou projetait, d’établir, n’est-ce pas en vérité une opinion inadmissible ?
La rue des Fossés -S. -Germain-l’ Auxerrois doit son nom, soit à des tranchées dont les Normands auraient entouré leur camp, établi près de là en 886, soit (en supposant son origine moins ancienne) à sa tendance vers le fossé qui fortifiait à l’orient le vieux Louvre, et pouvait être ainsi désigné, vu sa proximité de l’église S. Germain. Dulaure, en élevant de ce côté de Paris un mur accompagné d’un fossé, est forcé en quelque sorte de l’admettre sur toute la ligne, hypothèse qu’aucun document ne confirme *. Il place trop bas dans la rue S. Martin la porte de ville dont parle Suger. Il lui convenait d’autant mieux d’en fixer la position au point où la rue S. Martin prend le nom de rue des Arcis, qu’il a fondé sur ces changements dans la désignation des rues qui se font suite son système de clôture de la rive gauche. Est-ce donc uniquement pour la faire toucher à cette tour du Pet*au-Diable, que Sauvai avait mise en avant à tout hasard, que Du¬ laure a donné à son enceinte une forme si étroite ? Au sortir de cette maudite tour, il ne sait plus que faire de la porte Baudoyer, et encore moins où fixer l’ex¬ trémité de son enceinte, à laquelle il assigne trois aboutissants, au choix, sur la rive de la Seine. C’est là plutôt embrouiller qu’éclaircir une question.
Première enceinte (rive gauche). — Exista-t-il jamais sur la rive gauche un mur d’enceinte antérieur à celui de Ph. Auguste? Cette question n’a pu jusqu’à présent sortir des ténèbres de l’hypothèse. Il suffit, je crois, pour la résoudre né¬ gativement, des considérations suivantes : Cette partie de la ville se trouvait éta¬ blie sur le petit bras de la Seine, presque toujours à sec en été, au pied d’une colline assez escarpée; cette position seule indique qu’elle était peu commer¬ çante. C’était, en effet, avant Ph. Auguste, et même de son temps, dans la Cité et dans la ville qu’étaient agglomérés les riches habitations et les établissements de commerce. Sur la rive gauche on ne voyait guère que d’immenses clos en culture, et çà et là quelques églises ou chapelles; les collèges et les couvents ne s’y multiplièrent qu’aux XIIIe et XIVe siècles. Le petit nombre de rues alors for-
1 Excepté peut-être l’acte cité dans la note de la page 12. M. De Gaulle adhère au système de Dulaure, et cherche même un nouveau point d’appui dans le nom de l’impasse de la Petite-Bastille (rue de l’Arbre-Sec). Ce nom lui vient d’une enseigne; et d’ailleurs l’espèce de fortification nom¬ mée bastille ou bastide n’est guère employée que depuis Charles V.
24
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE GAUCHE.
niées se composaient de paisibles et silencieuses habitations ; il n’y avait un peu de mouvement qu’aux abords du Petit-Pont et sur la ligne de la grande chaussée d’Italie, nommée plus tard rue S. Jacques. Les églises, autour desquelles se groupaient quelques maisons, avaient des tours crénelées; le palais des Thermes pouvait lui-même passer pour la citadelle de la rive gauche. Admettra-t-on une enceinte comme nécessaire pour protéger un faubourg si peu compact, et ces quelques nies solitaires établies sur une pente ?
Sauvai est, je crois, encore le premier qui, se fondant sur une prétendue pièce qu’il nomme ancien rôle des carrefours , parle, en termes fort vagues ( 1. 1, p. 29 et 30), d’une clôture qui embrassait la place Maubert et son voisinage , com¬ mençant au Petit-Pont et finissant à la rue de Bièvre. De la Marre n’a point adhéré à cette idée de Sauvai. Mauperché et Ramond du Poujet l’ont aussi rejetée; mais Jaillot et Dulaure l’ont admise en la modifiant.
L’existence de cette clôture n’est fondée que sur des hypothèses plus ou moins ingénieuses, et aucun des auteurs qui ont tenté d’en indiquer la ligne n’a pu s’expliquer, même approximativement, sur la date de sa construction, ni sur l’époque où elle disparut. Ajoutons qu’on n’a trouvé, en aucun temps, le moindre débris matériel qui pût s’y appliquer. On n’a jamais, à ma connaissance, allégué que trois preuves en sa faveur (non compris celle de Sauvai), mais si faibles que le moindre souffle peut les renverser.
La première est tirée de la prétendue charte de fondation de la basilique S. Vincent, devenue S. Germain-des-Prés, où il est parlé, en 558, non du mur méridional de la ville, mais plutôt de celui de la Cité. (Voy. pag. 6.) La seconde a pour base une phrase tirée de la Vie de S. Martin, écrite par Sulpitius Severus, où il est dit que ce saint, revenant de Tours à Paris, rencontra, à Ventrée de cette ville, un lépreux qu’il guérit en lui donnant un baiser. A cet endroit même aurait été élevée une chapelle en branchage, qui existait encore sous Clo¬ taire I. Toussaintsdu Plessis, qui discute ces faits ( Nouv. annales de Paris, p. 33 et 77), prétend prouver que cet oratoire, de construction si chétive, était situé près d’une des portes de Paris, vers l’endroit où est la chapelle S. Yves, en deçà de la rue des Noyers. Mais, de ce fait que S. Martin rencontra un lépreux à l’entrée de la ville , il ne résulte pas qu'une porte ait formé cette entrée. Du Plessis, qui a imaginé cette porte, lui a aussi créé un nom ; il l’appelle la Porte du Lépreux. Cependant il n’ose affirmer qu’un mur de clôture y fût attenant. Peut- être (dit-il, p. 78) « n’y avoït— il là qu’un simple fossé, qui aura été comblé par « succession de temps, ou un mur si foible qu’il sera facilement tombé de lui « même sans qu'on se soit jamais mis en devoir de lcrelever, à moins qu’il n’ait été « abattu jusqu’aux fondemens par le Norman Ragenaire ou Renier en 845; car,
PREMIERE ENCEINTE DE LA RIVE GAUCHE.
25
« dit un savant académicien (Bonamy ), S. Julien le Pauvre et S. Séverin étoient « encore réputez fauxbourgs sous Louis le Jeune. »
La troisième preuve alléguée en faveur de cette enceinte est fournie par l’abbé Lebeuf ( Dissert . I, p. 32). C’est une phrase extraite d’un ancien manu¬ scrit latin de la Vie de sainte Geneviève ( manuscrit soi-disant du VIe siècle ), où il est dit que cette sainte fut inhumée « in Basilicâ in monte sitâ, juxtà nova mœnia « Parisii, nomine Locutitio. » Toute la valeur de ce document repose sur l’époque précise du manuscrit; or, cette époque est sujette à controverse. Lebeuf lui-même avoue qu’à en juger par les caractères, il était du XIe siècle. Je n’ai jamais vu ni cherché à voir le texte original (supposé qu’il existât encore), mais je l’ai lu im¬ primé dans Y Office et la Vie de sainte Geneviève, in-8°, 16971. Autant que je puis en juger par analogie avec d’autres textes, le latin m’a paru trop correct pour re¬ monter au XIe siècle. Cette biographie, destinée à consolider la vénération des Parisiens pour leur sainte Patronne, n’aurait-elle pas été rédigée par un religieux au XIIIe siècle? Je le crois. L’auteur aura voulu dire que la Sainte fut inhumée dans la basilique (S. Pierre et S. Paul), située près de l’endroit où s’éleva plus tard le mur neuf, qu’il avait peut-être vu construire.
Le Cler du Brillet , continuateur du Traité de la Police, admet, sans aucune preuve, que cette enceinte, bâtie vers l’an 900, partait de l’endroit où est le Pont- Neuf et aboutissait sur le quai de la Tournelle, où débouche la rue de Bièvre. Du Plessis rejette ce système que Dulaure adopte en partie. Voici la marche que ce dernier auteur assigne à cette clôture tout à fait idéale. Il la fait partir d’un point voisin du couvent des Grands-Augustins. De là, il la conduit à l’impasse du Paon, lui fait traverser la rue Hautefeuille (nommée autrefois de la Barre), et suivre la rue Pierre-Sarazin ; arrivée à la rue de la Harpe à l’endroit où cette rue chan¬ geait jadis de nom (elle se nommait, de la rue Pierre-Sarazin à la place S. Michel: rue aux Hoirs d’Harcourt et de S. Corne), elle continue en suivant la rue des Mathurins et celle des Noyers, puis traverse la place Maubert, et va, entre les rues Perdue et de Bièvre, aboutir aux Grands-Degrés, point du rivage correspondant à l’extrémité orientale delà Cité. Là, cette clôture se termine par une tour, indiquée sous le nom de S. Bernard et des Bernardins , dans deux comptes de 1462 et 14-75, signalés par Sauvai. Dans cet espace, l’enceinte livre passage à quatre portes.
Il suffit de suivre ce tracé sur un plan de Paris pour en voir l’invraisemblance. M. de Gaulle admet aussi cette enceinte, mais ne sait quelle limite lui assigner. Il cite seulement quelques bâtiments qu’il croit s’y être rattachés ; telle est une tour qu’on voyait autrefois rue S. Victor, au bas de la rue de Versailles (ou plutôt
* On lit dans le texte imprimé novemœnia ; Lebeuf écrit novce ; je pense qu’il faut lire nova.
26
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
Verseille, comme on lit sur la Taille de 1313). Notons que cette tour, si rappro¬ chée de la porte S. Victor, pouvait bien être une dépendance de cette porte, pour peu que ceux qui en parlent eussent légèrement observé sa position. Quant à la tour de S. Bernard (sur le port de ce nom), citée par Sauvai, rien n’indique qu’elle eût été l’accessoire d’une enceinte. Au XV' siècle, on rencontrait des tours à chaque pas. On ne peut donc rien conclure de cette citation, que n’accom¬ pagne aucun détail précis. Sauvai lui-même ne la signale pas comme attenante à une fortification.
M. de Gaulle, pour prouver l’existence de cette enceinte, invoque aussi le té¬ moignage de la charte de 558 que j’ai citée plus haut, page 6 ; c’est une base sans consistance.
En résumé, l’existence de cette première clôture de la rive gauche s’appuie sur des raisons peu vraisemblables, et les prétendues preuves alléguées en sa faveur courent grande chance de n’être que des méprises. Nulle chronique, nulle charte ne cite positivement un mur ou une porte de ville de ce côté de Paris; et la moindre découverte matérielle n’est jamais venue jeter le plus faible jour sur cette obscure matière.
L’abbé Lebeuf, qui est assez accommodant et qui aime fort les dissertations hypothétiques , genre dans lequel il excellait , n’ose lui-même assigner aucune limite à cette clôture ; il se contente, pour y croire, de la phrase extraite de la Vie de sainte Geneviève , citée plus haut, et il finit par cette dernière hypothèse (Diss. 1 , p. 33 ) : « Si ces murs ne subsistent plus, et si l’on n’en a vu aucun « vestige, c’est à leur peu de solidité qu’il faut s’en prendre : on ne vouloit alors se « mettre qu’à l’abri des lances et des flèches, et arrêter les courses des brigans. » Un archéologue de nos jours peut-il sérieusement se payer de pareilles raisons ?
III. — Enceinte eSe PliiBgg»]>»e-ÆMguste« CongÊdes'ations générales.
Pour me conformer à l’opinion généralement adoptée, j’appellerai Enceinte de Pli. Auguste un mur épais qui, s’étendant sur les deux rives de la Seine, forma longtemps la limite de la capitale; mur dont il reste encore quelques por¬ tions, et dont la ligne est tracée, avec plus ou moins d’exactitude, sur plusieurs plans anciens ou modernes. Avant d’entrer en matière, je dois déclarer qu’il n’y a pas, à mes yeux, certitude que tout ce cours de murailles soit , sur tous les points, l’œuvre de Ph. Auguste. Il est évident que plusieurs parties, notamment sur la rive gauche, ont subi des modifications successives ou même une reconstruc¬ tion totale. J’aurai donc soin de faire ressortir les documents qui attestent les divers changements apportés au plan primitif.
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GENERALES.
27
Quelques auteurs, tels que Bonamy, ont même été plus loin : se basant sur quatre mots d’un ancien acte, ils ont presque admis que la partie septentrionale de cette clôture était antérieure à Ph. Auguste. J’ai déjà (p. 12) dit quelques mots sur cette opinion difficile à établir; j’y reviendrai dans mon XIIe chapitre.
Nous possédons, au sujet de cette clôture générale de Paris, une masse de documents plus ou moins clairs , fournis par les chroniques contemporaines, les Ordonnances royales, les Comptes delà 'Ville, les plans des Archives et les vieilles estampes. Il y a mieux: il nous reste encore en nature des portions notables du gros mur, qui ont résisté à plusieurs siècles de dévastation de tout genre. Il est donc- surprenant qu’il n’ait point paru jusqu’ici un travail complet sur cette ma¬ tière , mais seulement quelques notices peu détaillées et fort superficielles. 11 s’agit, pour arriver à une solution positive sur certains points, et, sur d’autres, à des conjectures très-vraisemblables, de rassembler ces matériaux, de les bien classer, et de les interpréter de manière à en tirer des déductions incontestables.- Selon la plupart des historiographes modernes qui citent des chroniques con¬ temporaines, cette clôture fut commencée d’abord sur la rive droite en 1190 1 et continuée sur l’autre rive entre 1200 et 1211. Rigord, historien contemporain, parle de cette clôture, qu’il vit achever au nord et au midi.
Dans son ouvrage : De gestis Angusti Philippi , il s’exprime ainsi à l’an 1190 : « Rex præcepit etiam civibus parisiensibus, quôd civitas Parisii quam Rex mul- « tùm diligebat, muro optimo cum tornellis decenter aptatis et portis, diligen¬ te tissimè clauderetur; quod brevi temporis elapso spatio completum vidimus. » Cette phrase, sans aucun doute, ne s’applique qu’à la clôture septentrionale; car celle de la rive gauche n’était pas encore terminée en 1209.
Rigord dit ailleurs : « Eodem anno 1211, Rex totum in circuitu circumsepsit « à parte australi. » Plus loin il ajoute, parlant, je crois, des deux rives: « Maxi- « mam terræ amplitudinem infrà murorum ambitum concludens et possessores « agrorum et vinearum compellens, in terras illas et vineas ad æditicandum in « eis novas domos habitatoribus locarent, vel ipsimet novas ibidem domos con- « stiluerent, ut tota civitas usquè ad muros plena domibus videretur. » Guillaume le Breton (Guillelmus Armoricus), né, selon Pithou, en 1165, refit et continua la chronique en prose de Rigord. Il s’exprime ainsi à l’année 1190 : « Eodem tempore, deMandato Regis Philippi... erecti sunt mûri in circuitu Ci- « vitatis Parisiacæ, à parte Boreali usque ad Iluvium Sequanæ, cum lurellis et « portis decentissimè aptatis. »
Dulaure dit par erreur que Ph. Auguste ordonna cette enceinte en 1188, et qu’elle fut com¬ mencée en 1190. Selon Rigord, elle fut ordonnée en 1190 et commencée immédiatement.
28
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
Selon Rigord , les frais de cette clôture, du moins quant à l’acquisition du ter¬ rain, se firent aux dépens du roi, qui dédommagea les propriétaires : « Damna sua « quæ per hoc hommes incurrebant fisco proprio compensabat. »
Guillaume le Breton, dans son poëme de la Philippide , livre XII, dit la même chose : — Cujuscumque domus , fandus seu vinea, propter — Fossas aut turres periit, seu mœnia , damni — Totius pretium patiens à regerecepit, etc. 1
Malgré ce double témoignage contemporain, Bouquet, dans son Mémoire sur la Topographie de Paris, in -4°, 1771, p. m de Y Avertissement, repousse cette assertion, mais sans fournir de preuves.
Ph. Auguste acheta donc le terrain, mais il est probable que les frais de con¬ struction du mur et des tours furent à la charge de la Ville. De là , par la suite, d’interminables contestations, faute sans doute de preuves de part et d’autre. Il paraîtrait que le roi, bien qu’il n’eût sans doute acquis que le fonds, se regardait comme propriétaire du tout. Au reste , cette idée paraissait fort naturelle à cette époque. Rigord dit même que le roi avait le droit d’élever son mur sur le terrain des particuliers, et qu’il ne les indemnisa que parce qu’il préféra Y équité au droit. Quoi qu’il en soit, ces murailles ont toujours été nommées : murs du Roy. Du Breul (p. 382) cite un acte de 1209 (époque où l’on achevait la clôture du midi), qui nous apprend que Ph. Auguste donna à l’abbé de S. Germain-des- Prés une porte de ville non encore achevée, qu’il nomme : « posternam murorum nostrorum .» Dans beaucoup d’autres actes postérieurs, il est souvent fait mention des murs du Roy ou murs-le-Roy. Mais notons que sur les anciens registres de Comptes de la Ville, on lit presque toujours : les murs de la Ville. Il me paraît donc impossible de décider qui, du roi où de la Ville de Paris, paya les frais de la clôture. Bonamy cite bien un prétendu devis ou compte de ces frais, pour la rive gauche (voir le chapitre VIII); mais il n’en résulte aucune lumière pour la ques¬ tion qui nous occupe. Bonamy dit avoir retrouvé cette pièce sur un registre de Ph. Auguste, conservé au Trésor des chartes; est-ce une preuve positive que ce roi ait soldé lui-même ce compte?
La clôture de Ph. Auguste consistait, comme l’attestent de nombreuses portions conservées au nord et au sud de la capitale, en deux murs reliés entre eux par un blocage de moellons noyés dans un ciment assez tenace. Les faces de ces deux murs de soutien se composaient de pierres de petit appareil, équarries, mais inégales dans leur dimension. Le plus grand nombre de ces pierres porte environ 27 c. en carré, terme moyen; elles sont de nature calcaire, mais leur surface est
' Notons co mot fossas, qui semblerait indiquer qu’il y eut, dès l'origine, des fossés devant le mur de Ph. Auguste, question que je discuterai au chapitre XII, Remarquons seulement que l’auteur parle ici en général de toutes les villes du royaume que ce roi fit fortifier.
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
29
devenue, à l’air, presque aussi dure que le grès, et a contracté une teinte d’un gris foncé. Il faut aussi observer que, par suite de nombreuses réparations, on a intercalé, dans l’appareil général, des pierres d’une autre dimension et d’une autre nature; mais les blocs du revêtement primitif dominent encore assez, je crois, pour qu’on puisse de suite reconnaître le mur, à l’aspect de l’ensemble.
Les fondements, selon Mauperché, qui parle sans dbute de visu (p. 115), con¬ sistaient en un massif de caillons réunis avec un ciment dur et ferme. Le blocage et les deux murs de face offraient une épaisseur moyenne d’environ trois mètres à fleur du sol, et de deux mètres trente cent, à une hauteur de six ou sept mètres au-dessus des fondements. En quelques endroits , il pouvait être plus épais ou plus élevé, selon la consistance et la pente du terrain, ou l’importance des lo¬ calités à protéger; mais il est permis d’avancer que telle est, en général, son épaisseur au nord comme au midi, dans les endroits où il n’a pas été aminci par les propriétaires. On prétend que le mur de la rive droite, le premier construit aux frais du roi, fut plus solidement établi, parce qu’il renfermait la partie la plus importante de la ville. Le fait est que les fragments que j’ai vus de ce côté de Paris m’ont paru d’une construction plus serrée, plus homogène que du côté du sud. Gomme il a servi moins longtemps de rempart et n’a probablement jamais été approprié à un nouveau système de défense, puisque sous Charles Y on recula l’enceinte beaucoup plus loin, il a dû conserver plus intacte sa forme primitive.
Il est heureux, pour l’archéologie, que ce mur ait consisté en un blocage contenu par deux murs de petit appareil. Construit, dans toute son épaisseur, de larges blocs, il eût tenté les propriétaires des maisons contiguës, qui n’en eussent laissé aucune trace ; mais ces petites pierres offraient trop peu d’avantages pour qu’on fît les frais de les déplacer sur toute la ligne. Les murs élevés sous Charles V étant, au contraire, formés dans toute leur masse de gros matériaux, n’ont pu échappera une totale destruction.
Il est assez difficile de préciser la hauteur générale du gros mur de Ph. Au¬ guste, car il a été évidemment plus ou moins abaissé ou exhaussé sur divers points de son cours. Toutes les portions qui subsistent aujourd’hui ont été dé¬ pouillées du chaperon qui formait sa plate-forme, et du parapet crénelé qui le surmontait, comme je le prouverai tout à l’heure. Les dalles de cette plate-forme et les gros blocs ou merlons qui formaient les espaces vides (carneaux ou cré¬ neaux) étaient bons à employer; partout donc, à diverses époques, on les utilisa.
Les portions du gros mur les mieux conservées (sauf l’absence du chaperon et du parapet crénelé) offrent une hauteur approximative de six à sept mètres, et dans cette hauteur on compte, à partir du sol qui probablement en recèle une partie, de 25 à 27 assises. L’élévation totale du mur, si l’on ajoute le chaperon et
30
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
le parapet, et si l’on a égard à la partie inférieure qui est aujourd’hui sous terre, peut être évaluée à environ neuf mètres.
Des tours dites tournelles flanquaient, fortifiaient ce gros mur, de distance en distance, et avec assez de régularité. L’espacement moyen entre chaque tour était d’environ trente-cinq toises, quelquefois un peu moindre , mais rare¬ ment plus considérable. Ces tours étaient toutes construites d’après le même système et avec les mêmes matériaux. Elles étaient de forme cylindrique, mais jointes au mur de telle sorte qu’elles le débordaient, à l’extérieur, d’un peu plus de la moitié de leur diamètre; l’autre partie du cercle était si bien incorporée au mur, que du côté de la ville elle ne présentait aucune saillie. L’intérieur des tours était de forme complètement circulaire, du moins dans le principe, je le suppose, car plus tard on en a dénaturé quelques-unes. Leur diamètre intérieur était d’environ quatre mètres.
Si quelques plans du XVIe siècle donnent à plusieurs de ces tours une forme carrée, c’est sans doute par erreur, ou c’est qu’elles auraient été refaites ainsi sous Charles Y, époque où cette forme était préférée. Sur les plans du siècle sui¬ vant, elles paraissent tantôt rondes, tantôt semi-circulaires, de manière à res¬ sembler à un renflement du mur. Celles que j’ai vues debout m’ont produit cet effet au premier coup d’œil; mais les meilleurs plans, ceux levés par des toi— seurs, leur donnent toujours une ligne circulaire, avec les circonstances que je viens d’expliquer. Quand ces tours figurent sur un plan, sans accompagnement de portions de mur, elles sont toujours à peu près rondes à l’extérieur comme «à l’intérieur. Ensuite, quelques-unes ont pu avoir la forme d’une demi-tour, soit que les propriétaires qui les ont achetées les eussent réduites à cet état pour gagner de l’espace, soit qu’elles eussent été ainsi modifiées à dessein sous Charles VI ou postérieurement, comme il arriva du côté de la porte S. Victor. Celles qui fortifiaient le mur aux endroits où il faisait un brusque retour d’équerre étaient peut-être plus fortes que les autres.
Ces tours sont représentées, sur les vieux plans et sur les estampes, tantôt avec une terrasse garnie d’un parapet crénelé, tantôt sans créneaux, ou coiffées d’un toit conique. Je pense que dans leur état primitif elles étaient toutes cré¬ nelées, sans toit, et recouvertes d’une plate-forme de pierre, soutenue à l’inté¬ rieur par une voûte '. Tel était le style des tournelles murales sous Ph. Auguste.
1 Le propriétaire de là tour marquée E sur la planche I" m’a dit y avoir autrefois remarqué les traces d’une voûte qui soutenait la plate-forme. On m’a dit la même chose de la tour G (pl. II). Mau- pcrché, p. 144, signale des vestiges de voûte à l’intérieur des tours O et P. (Pl. III). Peut-être quel¬ ques-unes de ces voûtes retombaient-elles sur un pilier central.
ENC. DE TH. AUGUSTE. — C0NS1D. GÉNÉRALES.
31
Ce n’est probablement que plus tard qu’on les aura couvertes d’un toit, sans doute parce que la voûte avait été détruite.
Il m’a paru possible, à l’aide de nombreux documents matériels ou par ana¬ logie, de déterminer, sans trop m’écarter de la réalité, le nombre et la place de ces tours. J’en ai compté 34 au midi et 33 au nord, non compris celles qui for¬ tifiaient les portes. Sauvai (III, p. 40) dit que l’enceinte était flanquée de 600 tours. La réunion de toutes les tours de Paris, y compris les donjons, les tours des portes et celles des nombreuses églises, n’aurait pu fournir ce nombre. Peut-être l’ignorant éditeur du manuscrit de Sauvai aura-t-il ajouté un zéro 1 . Félibien, qui avait consulté cet ouvrage, crut adoucir et rectifier l’exagération de ce chiffre, en le réduisant à 500 (t. I, p. 252). On a peine à concevoir de pareilles naïvetés. C’est ainsi que G. Corrozet écrivait, mais c’était en 1532, que les murs de Paris avaient sept lieues de long ! (Edit. 1532, f. 53.)
Ces tours paraissent, sur tous les anciens plans, dépasser de quelques pieds la plate-forme crénelée du gros mur. Sur celui de la censive S. Merry, 1550 (dont j’ai donné un échantillon, p. 23 de mes Etudes sur les Plans), elles sont ainsi représentées, derrière le couvent des Filles Sainte-Avoye. Sur la vue de Paris prise du sud et signée L. Gaultier , 1607, elles ont la même disposition, ainsi que sur une grande estampe en quatre feuilles, éditée par N. Berey, vers 1660.
Quant aux tours qui fortifiaient les portes, elles étaient, sans avoir un plus fort diamètre, élevées de quinze à seize mètres environ, à deux étages; celles enfin qui formaient tête d’enceinte, comme la tour de Nesle, avaient à peu près vingt-cinq mètres de haut sur dix environ de diamètre extérieur, et offraient trois étages voûtés; c’étaient de véritables donjons.
Il exista, sans nul doute, dès l’origine, autour du mur de Ph. Auguste, à l’extérieur, un vide ou allée basse , que nous nommerions aujourd’hui : chemin de ronde. Sans cette condition, on ne comprend guère l’utilité d’un rempart quelconque. Un peu plus tard, néanmoins, on avait permis de bâtir des maisons bien près du mur, si ce n’est contre le mur lui-même. En tout cas, les maisons qui obstruaient le chemin de ronde devaient être moins élevées que le mur et sujettes à être démolies en temps de guerre, étant situées, comme nous dirions, dans une zone militaire. On en commença probablement la destruction du côté du nord, comme du côté du midi, à l’époque où le roi Jean fut pris par les Anglais ;
4
' Sairval, qui écrivait entre 1640 et 1660, laissa, après sa mort, un manuscrit, déposé je ne sais où. Les historiographes parisiens le consultaient déjà avant l’impression qui en fut faite en 1724. 11 faut, par ménagement pour la mémoire de Sauvai, le citer avec réserve, car son texte posthume a été si bien remanié, amplifié et dénaturé parùes éditeurs ignorants, qu’on court la chance de le faire rarement parler lui-même.
32
ENG. DE PH. AUGUSTE. -CONSID. GENERALES.
mais on dut suspendre cette démolition sur la rive droite dès qu’on eut résolu d’élever, de ce côté de Paris, une ceinture de murailles beaucoup plus étendue et construite d’après un nouveau système.
Exista-t-il également, dans l’origine, un chemin de ronde intérieur ? Je ne le pense pas, puisque les divers couvents établis avant ou après le XIII* siècle avaient le gros mur pour limites. Je citerai au nord : les Filles Sainte-Àvoye, les Blancs-Man¬ teaux, les Béguines; au midi : les Cordeliers, les Jacobins, l’abbaye Sainte-Gene¬ viève. Avant le roi Jean, le seul chemin de ronde intérieur était sans doute la plate-forme crénelée du mur. Celte plate-forme s’appelait encore, longtemps après, dans les anciens comptes : Vallée de dessus le mur , l’allée d’entre les tours, l'allée haute des murs. Mais, postérieurement au règne de Pli . Auguste, vers 1356, on établit probablement sur les deux rives, et certainement sur plusieurs points de la rive gauche, des chemins de ronde ou allées basses à l’intérieur.
Avant l’invention de la poudre, on combattait du haut des murailles- et des tours qui servaient de bastions; mais depuis l’usage de l’artillerie, on combattit derrière les murs, et non plus du haut de leur plate-forme. Alors les chemins de ronde à l’intérieur devinrent une nécessité, ne fût-ce que pour le transport de l’artillerie. Aussi, lors de la prise du roi Jean, donna-t-on ordre d’en former un tout autour de l’enceinte, comme l’attestent deux passages de Jean de Venette, continuateur de la chronique de Guillaume de Nangis. I! nous apprend qu’en 1356 on détruisit (sur toute la ligne?) « domos omnes quæ intùs et extra muros anteà « jungebantur », et qu’en 1358 on abattit une grande partie des bâtiments ap¬ partenant aux Jacobins qui, «non solùm domos quas ædificaverant perdiderunt « exteriùs, sed etiam domus intrà mœnia... ut inter ipsorum habitaculum et dictos « muros aditus fieret atque via; et simiîiter factum est ad muros, ad plagam « occidentalem circumdantes civitatem.» Plagam occidentalem signifie sans doute la portion de clôture comprise entre les Jacobins et la Tour de Nesle.
Plus tard, on renonça à ces allées basses, qui, je crois, ne furent jamais ouvertes que sur certains points importants, par exemple, dans le voisinage des portes. Je pense que du côté du nord on ne donna pas de suite à ce projet, vu qu’on tarda peu à creuser plus loin des fossés et à élever de nouveaux remparts. Nulle part, en effet, on ne lit qu’on eût dépossédé d’une partie de leur terrain attenant au mur les Religieux Blancs-Manteaux, les Filles Sainte-Avoye, etc., comme on fit à l’égard des Jacobins. L’ancien chemin de ronde intérieur établi au pied du mur de 1190 n’a guère laissé de traces que dans le voisinage des portes S. Denis, S. Martin et Montmartre, annexées «à ce mur. Une partie du terrain de la ville, où est la Halle aux Huîtres, pourrait passer pour un reste de ce chemin de ronde. Sur les anciens plans de 1520 à 1548, que j’ai signalés, le mur de Pli. Auguste
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES
33
paraît, au nord comme au midi de la ville, isolé entre deux vides; mais ces mau¬ vais plans ne peuvent être appelés en témoignage. Cet isolement est une fantaisie du dessinateur, démentie par des plans plus détaillés et moins imparfaits de la même époque, tels que ceux de Braun et de la Tapisserie.
Comment se rendait-on sur la plate-forme du mur? Je n’ai jamais remarqué dans l’intérieur des tours (qui servaient à loger des gens de guerre) de traces de degrés. Peut-être existait-il çà et là, appliqués au mur du côté de la ville, des escaliers extérieurs, tels qu’on en voit le long de certains remparts du même genre. Du reste, il se trouvait des degrés dans les tourillons annexés aux tours élevées, formant au bord de l’eau les têtes du mur d’enceinte, et, de plus, l’une des deux tours qui fortifiaient les portes contenait, le plus souvent, un esca¬ lier à vis, communiquant avec Vallée haute des murs.
Le sommet du mur fut certainement, ainsi que la plate-forme des tours, cou¬ ronné, dès l’origine, d’un parapet crénelé. Tout le prouve : les vieux plans, les estampes, les registres de comptes , et les chroniques. Jean Boivin , ou Bauyn , dit Jean de S. Victor, écrit, en 1327 (voir Mélanges d'hist. de Terrasson, p. 133), que Ph. Auguste ferma Paris «hono muro cum carnellis et portis. » Bouquet ( Mé¬ moire, p. 181) cite un article où il s'agit d’une portion du gros mur qui longeait un jardin de la rue Michel-le-Comte ; l 'allée de ce mur contenait xiii carneaulx.
L’espacement de ces créneaux peut même se déduire de deux extraits des Comptes de la Prévôté (voir Sauvai, t. III, p. 282) : «... douze toises et demie « des anciens murs... emprès la porte S. Martin-des-Champs, contenant douze « carneaux de long. — ... murs anciens... à la porte Barbette, contenant iceux « seize toises ou environ ; et y a quinze carneaux. » On peut conclure de ces citations que, par chaque toise de cours, le gros mur était surmonté d’un merlon d’environ un mètre de long, et que le vide entre chaque merlon, ou créneau, était d’une égale étendue.
Il est probable que les parapets n’appuyaient pas sur des dalles formant une saillie soutenue par des consoles à redans, nommées mâchicoulis. Cet accessoire, qui ménageait des ouvertures pour laisser tomber divers projectiles meurtriers, ne fut, dit-on, généralement en usage qu’au XIVe siècle.
Les tours voûtées, crénelées et sans toiture, étaient percées vers le bas, à l’in¬ térieur, d’étroites archères, et communiquaient à Vallée ou plate-forme du mur, soit de plain-pied , soit plutôt par quelques degrés de pierres, puisque vraisem¬ blablement elles dominaient le mur. Quant aux tours plus élevées et étagées, qui fortifiaient les portes, elles pouvaient différer des tours du rempart par leur structure intérieure ou extérieure ; leurs créneaux étaient peut-être plus serrés, leur plate-forme couverte d’un toit, leur sommet garni de mâchicoulis, etc. Ce
5
34
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GENERALES.
sont des questions dont je m’occuperai plus spécialement dans mes Dissertations sur les Portes, à la suite de cet ouvrage.
Nous verrons plus tard quelles nombreuses modifications furent apportées à cette clôture, surtout sur la rive gauche. On aurait tort de s’imaginer, comme plusieurs auteurs ont voulu l’insinuer, que la clôture de Ph. Auguste fût un ou¬ vrage de pur embellissement, une sorte de mur d’octroi, et rien de plus. Quoique ce roi eût permis de bâtir tout contre son mur d’enceinte, et concédé, en 1209, une porte de la ville aux religieux de S. Germain-des-Prez ; quoique , plus tard , Philippe le Bel eût autorisé plusieurs particuliers à percer le gros mur, selon leurs besoins, et à s’étendre au delà, il ne faut pas en conclure que l’enceinte ne fût pas regardée alors comme un rempart sérieux. Peut-on penser qu’un simple mur de limite eût été bâti avec une épaisseur de près de trois mètres ? On verra plus tard cette clôture bien autrement négligée, puisque, sur les deux rives de la Seine, on louait à bail les hautes tours sises au bord du fleuve, les murs, les tournelles, les portes, et (du côté du midi) le sol des fossés. On lit, dans Sauvai (111, p. 658), qu’en 1 573, les portes, tours et places appartenant à la ville, le long de l’ancienne clôture, « se baillaient à vie, à louage et à profit. » Mais observons que les baux contenaient toujours des conditions restrictives, en cas de guerre.
Le dessinateur qui voudrait représenterai! vrai l’enceinte primitive de Ph. Au¬ guste aurait bien des conditions à remplir, puisque, depuis cette époque, les murs et les portes ont été ou rebâtis ou très-modifiés. Pour la restaurer fidèlement en son premier état, le mieux, je crois, serait d’étudier, comme type de l’ancienne physionomie de Paris, quelque ville de France qui eût gardé intactes ses vieilles fortifications du XIIe siècle.
Quand, sous Ph. Auguste, on faisait le tour du mur à l’intérieur, on rencon¬ trait d’immenses espaces vides, des cultures, des jardins, des terrains en friche et à vendre ; mais, à l’approche des bourgs populeux, récemment incorporés à la ville, la promenade était interrompue, car les maisons de la rue principale de ces bourgs touchaient au mur d’enceinte. Ce mur, vu du dehors, paraissait donc isolé au milieu des champs (hors aux approches des portes importantes), puisque la majeure partie des hôtels, collèges et couvents, fondés sous le règne de Louis IX, n’existaient pas encore. Les vides immenses laissés entre la ville et la muraille se peuplèrent un peu plus lard, grâce au zèle du saint roi, d’établisse¬ ments religieux, accompagnés d’immenses jardins. Remarquons que ces bâti¬ ments et ces jardins aboutissaient directement au mur, sans laisser dévidés ou de chemin de ronde intérieur.
Creusa-t-on, dès le temps dePh. Auguste, des fossés au pied du mur, sur les deux rives? Il faut admettre qu’il n’en exista jamais du côté de la rive gauche
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
35
avant 1356 ; car les historiens qui mentionnent ceux établis à cette époque di¬ sent qu’il n’y en avait pas antérieurement, et on lit que les couvents attenants au gros mur possédaient, au delà, des bâtiments de pîain-pied avec le niveau du sol. Mais, sur la rive droite, le mur fut-il, dès 1190 ou plus tard, accompagné de fossés? Cette question a donné lieu à de vives controverses. Je la discuterai au chapitre XII, me bornant ici à dire que je penche pour la négative.
Tous les historiographes parisiens ont décrit, mais vaguement et sans détails précis, la ligne que suivait la clôture de Ph. Auguste. On s’étonne surtout que De la Marré l’ait figurée sur son plan fictif avec tant d’inexactitude, en un temps où il en restait sür pied tant d’échantillons au nord comme au midi. Il représente le mur d’enceinte comme flanqué au hasard de tours alternativement rondes et carrées. Cette incertitude ne lui était pas permise. S’il ne voulait pas se donner la peine de sortir de son cabinet, de chercher et de voir en nature, il n’avait qu’à consulter quelques plans des XVIe et XVIIe siècles, pour reconnaître que toutes ces tours étaient rondes et engagées dans le mur, comme je l’explique ci-dessus. Cet auteur était, en fait de questions topographiques, d’une naïveté incroyable. Il va jusqu’à affirmer que la forme de l’enceinte de Ph. Auguste était parfaitement ronde, et cela, dans un livre auquel il joint un tracé bien éloi¬ gné de cette forme. On ne conçoit pas de semblables étourderies de la part d’un homme si érudit sur d’autres points ; c’était ignorance volontaire ou aveugle¬ ment. Il est inconcevable que R. de Vaugondy ait répété cette assertion. Il lui suffisait aussi de jeter les yeux sur son propre plan, pour éviter cette bévue.
La plupart des historiens modernes font passer, avec plus ou moins d’exacti¬ tude, la ligne du mur de Ph. Auguste à travers les îlots de maisons; leurs des¬ criptions superficielles peuvent suffire à qui se contente d’une esquisse, d’un à- peu-près ; mais, pour l’archéologue ami du positif, du clair, du palpable , il faut un plan dressé sur une vaste échelle, où l’enceinte du XIIe siècle soit tracée avec précision. C’est pour satisfaire cette curiosité exigeante que j’ai tenté de fixer avec le plus de fidélité possible la ligne que suivait le vieux mur, les coudes, les inflexions qu'il formait sur certains points, le nombre juste de tours dont il était flanqué de tel espace à tel autre ; la dimension de ces tours, leur forme, et surtout leur place précise. On trouvera, je l’espère, que j’ai réussi sur quelques points, et que, sur d’autres, j’ai approché assez près de la vérité. C’est aux éru¬ dits que j’offre mes preuves ; ils pourront les apprécier et les vérifier à leur tour, pour en tirer de meilleures conclusions.
Les documents les plus authentiques qui puissent servir à l’histoire de cette enceinte, ce sont sans contredit, je le répète, les nombreux fragments qui nous en restent encore sur les deux rives. En 1561 on en trouvait de nombreuses por-
36
ENC. DE PH. AUGUSTE. — CONSID. GÉNÉRALES.
tions du côté du nord. Gilles Corrozet s’exprime ainsi, dans son édition de cette année (fol. 65) : « Desdictes vieilles clostures apparoissent encores les murailles « faictes en circuyt auec leurs tournelles, comme en la rue aux Ouës derrière « les maisons et en autres rues. » Ï1 est fâcheux que Corrozet n’ait point décrit tout ce qu’il en pouvait voir.
Il est temps aujourd’hui de tirer parti du peu de fragments de ce mur que le caprice du hasard a laissés subsister. Ces débris, altérés depuis longtemps, dis¬ paraissent, de nos jours, plus vite en un mois qu’en vingt années au siècle pré¬ cédent, soit qu’on les détruise totalement, soit qu’on les incorpore à de nouvelles constructions. Les démolitions opérées au nord, pour ouvrir la rue de Rambu- teau, et au sud pour prolonger celle Soufflot, ont mis à nu de précieux vestiges, qui ont disparu après s’être révélés, pendant quelques semaines, aux yeux de l’antiquaire. J’ai examiné et mesuré tout ce qui peut en rester à Paris, à ciel ou¬ vert. Quant aux débris cachés dans les fondements ou les caves des maisons, je n’ai pu les reconnaître en toute sûreté de conscience; j’aurais, sur ce terrain, risqué trop de méprises, vu mon peu d’entendement en fait de maçonnerie sou¬ terraine. Il faut être du métier poür distinguer à coup sûr, sous des couches de salpêtre, une construction brute du XIIe siècle d’une autre récemment formée des mêmes matériaux. C’est là un écueil pour des archéologues non architectes. On voit partout employées dans les maisons limitrophes du gros mur les petites pierres équarriesqui en formaient les parements. J’espère bien m’être préservé, dans mes perquisitions en plein air, de bévues en ce genre.
Quand, sous François Ier, on adjugea toutes les portions du mur de Ph. Au¬ guste, parmi les propriétaires, les uns le conservèrent pour soutenir leurs bâti¬ ments, ou bien y établirent des terrasses ; d’autres employèrent à des construc¬ tions les pierres de revêtement et les moellons qui formaient le noyau: d’autres enfin se contentèrent d’amincir le gros mur pour gagner quelques pieds de ter¬ rain. Je signalerai les localités où il a subi ces diverses modifications.
Les vieux plans de Paris des XVIe et XVIP siècles, malgré leur peu d’exactitude, en général, nous aideront, corrigés les uns par les autres. Ceux du XVIIIe, celui de Verniquet surtout, nous seront également d'un grand secours. L’illus¬ tre ingénieur nous a plus d’une fois, et à son insu peut-être, conservé des jalons précieux de cette vieille enceinte, au nord comme au midi. Mais nos plus puis¬ sants auxiliaires, en ce genre, seront des plans de géomètres-arpenteurs, levés à diverses époques par ordre du roi ou du prévôt, pour vider des procès, pour ven¬ dre des terrains du domaine royal ou de la ville, ou enfin pour établir, sur d’an¬ ciens emplacements, de nouveaux édifices publics.
Il paraîtrait peut-être bien naturel de me voir commencer par décrite l'en-
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIYE GAUCHE.
37
ceinte de la rive droite, la première construite; mais la disposition de mon ma¬ nuscrit et des planches qui l’accompagnent m’ont obligé de suivre un ordre inverse.
SV. — Eneeûitf de !PEB2I2|î|îe Aîijçia«4.e, rive gauetfce*
— De l’Institut à la rue de l’Éco!e-de-Médecine. — (Voy. pl. I.)
Nous commencerons notre promenade autour de l’enceinte méridionale par l’examen de la célèbre tour bâtie vers 1200, nommée dans un acte de 1210 : Tornella Philippi Hamelini suprà Sequanam, puis, un siècle environ plus tard : tour de Nesle ou Neelle , en latin : Nigella. Son premier nom lui vient d’un pré¬ vôt du temps; le second, d’un hôtel contigu. Elle occupait une partie de l’empla¬ cement actuel du pavillon oriental de l’Institut. Un coup d’œil jeté sur la planche I donnera une idée précise de sa position. Ses deux étages s’élevaient sur une sorte de soubassement en talus que submergeaient les hautes eaux de la Seine. Si ce soubassement existait encore, le sol exhaussé de la place de l’Institut le cache¬ rait probablement en entier.
La tour de Nesle est sans contredit la plus populaire de toutes celles du vieux Paris. Un drame moderne a surtout contribué à établir sa renommée, car tout ce qui offre du merveilleux est adopté par le vulgaire comme une vérité incontes¬ table. Mais le fait des prétendues orgies de Jeanne ou de Marguerite de Bour¬ gogne, orgies dont cette tour passe pour le théâtre, est loin d’être authentique; c’est au moins une vérité fardée par des ornements d’emprunt. Une reine quit¬ tant la nuit son palais et traversant un souterrain pour venir se livrer à des scènes de débauche que termine, à la face d’une pleine lune, le fine mystérieux dans la Seine, d’un cadavre palpitant sous un sac funèbre, tout cela est ravissant. Mais ! le froid archéologue qui se plaît à souffler sur les fables est tenté d’envoyer cette histoire sinistre au diable... de Vauvert.
Pour mon compte, je ne prétends pas rejeter cette tradition comme purement chimérique , mais j’en trouve le récit trop vague, trop nébuleux, pour l’admettre comme un fait avéré. Il nous a été transmis par des poètes et des anecdotiers, deux sortes d’auteurs fort enclins à l’exagération. La plus ancienne trace de ce prétendu fait se trouve, je crois, dans les Epigrammata du poète hollandais Jean Second (Johannes Secundus) qui, sous Charles Y, dont il fut secrétaire, composait avec succès des poésies latines dans le genre de Tibulle. En 1461 Villon, autre poète, parle dans sa Ballade des Dames du temps iadis, de la reine « — qui com- « manda que Buridan — fust ieté en sac à la Seine. » Robert Gaguin rappelle cette histoire, à titre de tradition, et Brantôme, grand ami du scandale, l’a remise
38
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
en vogue dans ses Dames Galantes, Enfin, vers 1832, parut un drame à grand succès, qui a fait du nom de cette tour le synonyme de : Théâtre d’orgies féroces, à tel point que vers 1846 ou 47, le nom de Tour de Nesle fut donné à un bouge infâme de la rue du Pot-de-F er-S .-Marceau, où des repris de justice entraînaient des jeunes filles des quartiers voisins.
Un récit sérieux semble prêter quelque consistance à cette histoire de meur¬ tres, accompagnée de souterrain, c’est cette phrase de G. Corrozet (1561, fol. 1 1) : « L’an 1538, en édifiant des maisons, sur la riue de Seine delà la tour de Nesle, « vis à vis du chasteau du Louvre, furent trouuez unze caueaux, en l’vn desquels « estoit vn corps mort armé de toutes pièces, qui tourna en poudre si tost qu’on « le toucha. »
A nos yeux, cette tour isolée est tout simplement la tête occidentale, le donjon si l’on veut, de la clôture de Ph. Auguste. Les plafonds de ses trois étages étaient formés sans doute de voûtes solides; peut-être même ces voûtes retombaient-elles sur un pilier central. Sa plate-forme servait de poste d’observation à une senti¬ nelle qui de là surveillait la Seine, les abords du rempart et aussi les alentours du château royal du Louvre. Les trois étages contenaient sans doute des armes et les divers engins et ustensiles de guerre en usage avant l’artillerie. Telle fut vraisemblablement sa destination depuis le temps où elle s’appelait : Tornella Philippi Hamelini, jusque vers le commencement du XVIe siècle. Sous Charles IX, on regardait déjà comme inutile cette masse noirâtre qui contrastait avec la partie neuve du Louvre ; et on la louait à des particuliers.
Une lettre-patente de 1571 (Félibien, V, p. 817 ) enjoint au duc de Nevgrs de se départir en faveur de la Ville, de la tour de Nesle, porte, fossé , arrière-fossé 1 et bordage. Celte même année, la Ville louait (Sauvai , ÎIÏ, p. 630) à Balthasar Bordier, marchand, la tour dite de Nesle, chambre, cellier, jardin, terrasse et autres petits édifices joignant ladite tour, pour neuf ans, moyennant trente livres tournois par année.
Au XVIIe siècle, le rez-de-chaussée de la tour de Nesle servait à abriter des filets de pêcheurs, et les étages supérieurs étaient occupés, je crois, par des blanchis¬ seuses qui étendaient leur linge sur de longues perches plantées horizontalement dans la vieille muraille , à proximité des fenêtres. C’est ainsi que cette célèbre tour éprouve le sort de la belle Dulcinée, sous la loupe de l’antiquaire.
Sur ses dernières années, néanmoins, elle joua de temps à autre un rôle un peu plus brillant. En 1613, on y tira un feu d’artifice pour divertir Louis XIII enfant,
1 Que signifie ce mot arrière-fossé ? Sur tous les anciens plans on ne voit qu’un seul fossé. Appel¬ lerait-on ainsi la partie en talus que nous nommons contrescarpe ?
«
' ■
*
.
■
'
■
■, ■ ■
■
ENC. DE PH. AUGUSTE. RITE GAUCHE.
39
(comme l’atteste une estampe de M. Mérian, décrite dans mon Hist. de la gra¬ vure, p. 62), et, en 1660, trois ou cinq ans avant sa démolition, on vit de sa plate* forme s’élancer une girandole, à l’occasion du mariage du roi. (Voir la Descrip¬ tion des fêtes données à cette occasion, in-folio, 1662.)
Il nous reste de cette tour un si grand nombre de vues peintes ou gravées, qu’on ne sait, au milieu de tous ces portraits, où trouver le véritable. Israël Sil- vestre, qui l’a plusieurs fois dessinée vers 1655, ne lui donne pas toujours pré¬ cisément les mêmes proportions ni les mêmes détails. Le côté qui regarde la ville a été moins souvent dessiné que l’autre; quant à la face qui regardait le Louvre, je n’en connais aucune image. Il ne faut point perdre de vue que cette tour a dû subir, à diverses époques, plus d’un changement. Les fenêtres carrées et assez larges dont elle est percée sur les estampes de Callot, Silvestre et autres, avaient remplacé des baies plus étroites, de forme ogivale et garnies de treillis de fer. Quant à la tour primitive, nommée en 1210 Tornella Pli. Hamelini, on ne peut se flatter d’en voir le portrait authentique sur les tableaux ou les estampes des XVIe et XVIIe siècles. Elle a pu même avoir été reconstruite en Entier vers le temps de Charles V. Cette remarque, au reste, peut s’appliquer à une partie des accessoires de l’enceinte.
On trouvera, dans mes dissertations sur les portes (pl. XII), une copie réduite au sixième de l’élévation géométrale de cette tour, dessinée en 1665 par Louis Le Vau, architecte chargé de bâtir l’Institut, sur l’emplacement des tour, porte et hôtel de Nesle. Ce dessin est un de ceux conservés aux Archives sous le n°7ÎO, IIIe classe.
La tour de Nesle, suivant Sauvai, fut abattue en 1663 avec les environs. N'y aurait-il pas ici erreur dans ce chiffre, puisque les dessins de Le Vau portent la date de 1665 qui semble indiquer celle de la démolition? Cette démolition, au reste, était projetée dès l’an 1659, puisque Félibien (t. V, p. 165) produit une lettre-patente du 6 septembre de cette année, qui enjoint aux Prévost des mar¬ chands et Échevins de « faire mesurer et arpenter les terres vaines et vagues qui « composent l’ancien fossé (delà porte de Nesle) jusques à larivière..., faire visiter « les maisons et eschoppes desdits lieux, pour pourvoira l’indemnité, etc. » Hié- rosme-François Tombonneau et Jean Doujat, conseillers, avaient reçu l’ordre, dès le 30 juin, de se transporter sur les lieux pour y procéder au mesurage, ar¬ pentage, plan et figure desdits lieux , faire estimer par experts nommés d’office, les tours, maisons et échoppes à démolir. J’ignore si cet ordre a été exécuté; en tout cas les dessins ne se retrouvent pas aux Archives, comme ceux de Louis Le Vau.
Je ne parle pas ici de la porte de Nesle, puisque chacune des anciennes portes
40
ENC. DE PH AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
de Paris aura son article à part dans les dissertations à la suite de ce livre.
Un coup d’œil jeté sur la planche I, fera comprendre de suite la marche de l’enceinte, depuis la tour de Nesle jusqu’à la rue de l’Ec.-de-Médecine. Je me bornerai à expliquer les détails de cette planche. La %. 2 est un calque mo¬ dernisé de Verniquet, sur lequel j’ai dessiné le gros mur avec ses justes propor¬ tions. Jusqu’à la rue Dauphine, mon tracé a pour base un plan manuscrit de Louis le Vau (1665), et, de cette rue à celle de l’Ecole, divers plans, rectifiés en quelques endroits par des recherches sur lieux.
Les plans originaux de Louis le Vau, architecte des bâtiments de l'Institut, sont conservés aux Archives (n° 710, IIIe classe). J’ai choisi le plus curieux, dont la fig. 1 offre la partie la plus intéressante calquée sur le dessin même, y com¬ pris l’écriture 1 . Pour plus de clarté, j’ai marqué chaque tour murale d’une lettre, même celles que j’ai intercalées par conjecture. Il en sera de même sur toute la ligne. Toutes ces tours sont figurées avec un égal diamètre et une forme sem¬ blable, quoiqu’il y eût, sans aucun doute, entre elles quelques différences qu’il ne serait pas» facile de constater, même quand elles subsisteraient encore. J’ai mis le plus grand soin à les placer à leurs distances respectives, et à tracer avec exactitude les localités actuelles qui les avoisinent. Je ferai, dans mon texte, une distinction entre les détails contemporains de Ph. Auguste et ceux qu’on doit attribuer à une époque ultérieure.
A la tour de Philippe Hamelin se rattachait l’extrémité occidentale de l’arc que formait le gros mur d’enceinte. Son point de départ était-il dans l’origine tel qu’il est ici figuré? Je le suppose, mais neff’assure pas. Si le tourillon contenant l’escalier fut construit sous Ph. Auguste, le gros mur devait dès lors le laisser à l’intérieur. Cette disposition resta donc toujours la même, à moins d’admettre que la porte de Nesle ne fut bâtie que plus lard. Cette question douteuse sera discutée dans mon article sur cette porte.
Un fait incontestable, c’est que les six arcades adossées au gros mur à l’exté¬ rieur, ainsi que les six fenêtres qu’elles encadrent (voir pl. XII, fig. 3), ne sont point contemporaines de Ph. Auguste. Ces détails auront été ajoutés au siècle suivant par les seigneurs de Nesle, avec permission du roi. Dans le principe, le mur était donc massif, et d’environ deux mètres et demi d’épaisseur, entre la porte et l’endroit où saille sur le fossé le plan d’un bâtiment ou enclos de forme irrégulière. Au point où la ligne d’enceinte éprouve une légère déviation, j’ai placé une tour hypothétique A, dont l’existence doit être admise, car elle paraît
1 On y indique nettement la coïncidence des tour, porte et pont de Nesle, avec les parties de l’Institut qui les remplacent. Ce plan de Le Vau a été gravé dans ['Architecture de Blondel.
ENC. DE PH AUGUSTE. RIVE GAUCHE
41
d'une nécessité absolue. Elle aura été abattue à l’époque où fut élevé le corps de logis en saillie sur le fossé creusé vers 1356.
La tour B ne figure pas sur le dessin de Le Vau, 1665, ni sur le plan de Gom- boust, 1652; mais on la voit sur les plans de G. Braun, Du Cerceau et Belleforest : elle fut probablement détruite vers la fin du XVIe siècle. Son existence me paraît incontestable, et sa place réelle devait être peu éloignée de celle que je lui assigne. Les tours C, D, E se trouvent sur le plan de Le Vau. J’ai donné le calque de celles marquées D et E, parce qu’elles offrent quelques détails «à l’intérieur. Elles pré¬ sentent, sur divers points, des échancrures indiquant des baies de fenêtres ou des cheminées. Les portions du mur qui les accompagnent paraissent avoir été amincies, ainsi que les tours elles-mêmes.
La longue cour de l’Institut a donc pour limite, à l’est, l’ancien mur, mais déformé et dégarni de ses assises de pierres; et la partie conservée de son blocage replâtré sert, je crois, de soutien aux maisons voisines. En 1842, on fit des fouilles dans cette cour. J’y vis les fondations de plusieurs murs, et probablement celles du bâtiment irrégulier, près la tour A. Du reste, je les examinai assez su¬ perficiellement, car alors je ne songeais pas à faire un livre sur les enceintes; j’aurais peut-être, en y mettant plus d’attention, découvert parmi ces fondations des traces des tours A et B.
Je n’ai retrouvé aucun reste de la tour G. Il y a une trentaine d’années, on voyait encore, rue Guénégaud, près du n° 20, la coupe du mur qui l’avoisinait. Ce débris, d’un aspect assez pittoresque, dominait l’orifice d’un vieil égout muni d’une grande grille, que je me rappelle avoir vue plus d’une fois dans mon enfance. Cet égout, dont l’ouverture a été reconstruite, s’écoule peut-être encore dans une partie de l’ancien fossé de Nesle; mais la coupe du gros mur, dont je n’ai conservé qu’un vague souvenir, ne se voit plus.
Quant aux tours D et E, elles existent encore, assez bien conservées, et figurent sur les plans de Vasserot et de Jacoubet. En 1840, je visitai la tour D du côté de la rue Guénégaud, et au fond d’une cour de la rueMazarine, 23 1 . Ramond du Poujet la signale, en Î818, rue Guénégaud, n° 31 ; elle était alors, dit-il, «au fond « d’un atelier de forgerons, et ne laissait pas d’avoir quelque chose de fort im- « posant. » Dans la cour de cette même maison, je vis de cette tour environ un quart de sa circonférence ; elle faisait meilleur effet du côté de la rue Mazarine,
1 C’est, je l’avoue, un mauvais système que de désigner les maisons par leurs numéros ou par les boutiques qui en dépendent, car les numéros et les établissements de commerce ne sont pas des points fixes. Cependant j’adopterai ce mode de renseignements, puisque le plan de Jacoubet indi¬ que avec une certaine exactitude le numérotage des maisons vers 1840, époque à laquelle se rap¬ portent mes recherches.
6
4‘2
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE
où elle paraissait avoir six à sept mètres de hauteur. L’intérieur servait alors de magasin à un facteur de pianos. Du Poujet se trompe en avançant que le gros mur forme le fond de l’impasse de Nevers. Il y a au devant (supposé qu’il existe encore), un corps de logis qui le cache.
J’ai vu fort souvent, en traversant le passage Dauphine, la tour E, dont j’in¬ dique ici la position. Une partie apparaît au fond de la cour du n° 13, dont l’en¬ trée est presque vis-à-vis la fontaine. On la prendrait pour un mur cintré, auquel est appliqué un petit escalier en plein air, que j’ai figuré sur la planche. L’autre partie du cercle dépend delà cour d’une maison de la rue Mazarine, n° 29. On voit l’intérieur dans l’arrière-cour de la maison n° 40, rue Dauphine ; je le visitai en avril 1840, et j’y remarquai une large embrasure qui prenait jour sur la cour de la maison de la rue Mazarine; cet intérieur ne m’a point paru complète¬ ment rond, sans doute parce qu’on avait déformé les parois de la tour. Sa hauteur était de six à sept mètres ; le plafond n’offrait plus dé traces de voûtes, mais le propriétaire me dit en avoir autrefois remarqué.
La fontaine moderne du passage Dauphine indique la coupe du gros mur. La Ville, qui avait conservé, je pense, ses droits sur ce mur, aura trouvé dans son épaisseur une place pour des tuyaux de conduite. Le fond de toutes les propriétés (numéros impairs) de la rue Mazarine a pour limite le mur d’enceinte, soit in¬ tact, soit aminci. Les cours de ces maisons et leurs bâtiments sur la rue occu¬ pent la place du fossé comblé, et la rue Mazarine représente l’ancien chemin de contrescarpe, dit autrefois : rue des Fossés de Nesle.
Ce fossé, il ne faut pas l’oublier, fut commencé sous le roi Jean, continué sous Charles Y et remanié, à diverses reprises, sous les règnes suivants. L’eau de la Seine, dans les crues d’hiver, remontait jusqu’aux environs de la porte de Buci, et y séjournait au moyen d’écluses établies près du pont de la porte de Nesle; en été le fond du fossé était à sec, sauf un maigre ruisseau d’eau croupie qu’on voit tracé sur le plan de L. Le Vau, sous le nom de L’esgoul S. Germain.
J’ai indiqué (au pointillé), d’après Le Vau, l’ancienne limite du rivage, ainsi qu’un abreuvoir figuré sur les vues de Callot et de Silvestre. On peut juger, en comparant l’ancien rivage avec le nouveau, de l’espace de terrain gagné sur le lit de la Seine par l’établissement du quai actuel. Comme je décrirai à part les anciennes portes de Paris, je me bornerai ici à faire remarquer leur position. Celle nommée Dauphine, bâtie seulement en 1632 ou 33, était attenante au n° 50 de la rue du même nom. Je l’ai tracée au pointillé. Elle fut détruite en 1673, comme l’annonce encore aujourd’hui une inscription sur tablette de marbre noir, incrustée dans la maison du n° 50, à la hauteur du premier étage. Cette inscription con¬ temporaine ne fait pas comprendre la situation précise de la porte. Le mur de
-
■
. ••
-
à
.
■
■
.
î
-
'
-
■
V
'
-
'ZÎ'iresJ^-lHJtL-irp-1 «ll*ppS 9 'HH
]_/\uf pureii «a 3A9j aïjiim jtie ' S' fij
O
£tZl 3 P UÎI^ su® ni 3p
S3J(h’.?NinU7^ÿ
S3SI01 ç 9?3ii3ip3;
<$l\ 113 3 A3] saAtipiy ssp irejd an. iris aain^ij 'j aaub.réui g
sstoj^ oç _ 02 _ 01
. 's'_03^nW •S'oirejj; SSp
s^nanmoop siSAip saicfep î
; jj
33 33I3UUII0] np a^ess^ 3j q.u3TiLipm ssjjj ■pçui8uo irepi sp ms Sï^iram^Tj 311 3][l].UlOcL TO SSUÔipp sap ■.'Bpopj
(66 IN 3SS,*/3 ;//I S3W%)I U3 3A3] in?]c[' nn|; anbpo' suiogp^
jrj sirej 3p sa/uisauj sa] jris '/.îassrff
5Ll°i]A[ S 901?I^ nknf auiospa^f- gp-gjoo^j ap am lap sindap apigousp injy
-ep ap no uiTiniap) ^ s9SSQj ssp 9Tl\[
SOSIO ) 0&
01 — H-
sTin^j^ 3p S3|nog^ 3p H9p
OOOOOOOOOOOOOOOOO OOOOOO O
joooooo O OOOOoOO O OOO 00 ooooo
) - ajoopj [ op p spy-sap-wpny-'p sam S9| aipia spiiaorop min np ao-eip
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
43
face de cette porte (du côté de la ville) dépassait-il ou non cette tablette? Dans le doute, j’ai fait arriver ce mur à l’angle de la rue Contrescarpe. Quand, en cet endroit, on abattit le gros mur pour livrer passage à la rue Dauphine (ce qui était déjà exécuté en 1609, si l’on s’en rapporte au plan de Quesnel), on démolit sans doute la tour hypothétique marquée F. Son existence me paraît fort vraisemblable, ainsi que sa position.
Le gros mur devait passer à quelques mètres en deçà de la rue Contrescarpe. Je n’ai pu en découvrir aucune trace, et le plan de Yasserot, qui indique tous les murs mitoyens de ces maisons, dont l’ensemble forme un îlot triangulaire, n’a pu m’éclairer sur ce point. Etait-il sur la ligne que suit la rangée occidentale des maisons de cette rue? Ce n’est point probable, vu sa direction générale, il aura été complètement démoli lorsque, vers 1609, on combla le fossé entre la rue Dauphine et la porte Buci.
Notons en passant que la rue Contrescarpe porte un nom trompeur, puisqu’elle est située en dedans du mur et tout à l’opposé de la contrescarpe du fossé. Elle devait se nommer plutôt rue de l’Escarpe.
La porte, dite d’abord S. Germain et, depuis 1352, de Buci ou Bucy (et non Bussy), était située à peu près où elle figure sur mon plan, à l’extrémité de la rue S. André des Arts. Avant de passer outre, j’ajouterai quelques citations qui se rapportent à l’espace compris entre cette porte et la tour de Nesle.
On lit dans Sauvai (III, p. 630), que «le logis de la porte de Bussy, avec les allées des murs depuis ladite porte jusques à l’Hostelde Nesle et deux tours étant esdits murs..., fut baillé (1558) aux Archers de la Ville, pour y entretenir des buttes, pour l’exercice du jeu de l’arc ». Le même auteur (III, p. 126) cite une tournelle neuve derrière la maison de maistre Simon de Bucy, en allant à Nesle.
— Permission à Guillaume Baif (3 août 1613) de « bâtir et avancer les cham- « bres de son bâtiment sur l’allée étant au haut des murs de la Ville, entre les « portes de Bussy et de Nesle, et faire porter ledit bâtiment sur le mur du pa- « rapet, en laissant un passage de sept pieds de haut, même de faire bâtir sur « une des tours qui est en saillie dans le fossé, moyennant 60 s. Tournois de « redevance. » (Bouquet, Mémoire, p. 282.)
De la porte Buci à celle des Cordèles ou Frères Mineurs, dite depuis de S. Germain, le passage du mur est facile à suivre, car on le voit tracé sur plusieurs plans gravés ou manuscrits du XVIIIe siècle. Bien mieux : il existe encore en partie, avec ses deux tours bien conservées, dans les maisons basses qui bordent à l’est le passage du Commerce. Ces tours figurent sous la forme de demi-tours, sur le plan du Qerde l’Ec. deMéd., par Vasserot, et sur l’atlas de Th. Jacoubet. La tour G est occupée, en ce moment, par un serrurier. L’intérieur est à peu près
44
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
circulaire : je n’y ai pas observé de traces de voûte. La tour H se voit dans deux boutiques contiguës, qui en ont chacune une portion; la grille du passage est placée, par rapport à cette tour, comme je l’indique sur mon plan. L’intérieur, que je visitai en 1840, au fond du vaste jardin de l’ancien hôtel de Tours, rue du Paon, 8, servait alors d’étable.
J’ai calqué et reproduit (PL II, fig. i) un plan manuscrit des Archives levé en 1743 (IIIe cl., n° 99), où l’on remarque sur trois points le mur d’enceinte avec son épaisseur primitive; partout ailleurs il est, du côté opposé au passage, aminci de moitié. J’ai ajouté au pointillé le tracé du passage actuel du Commerce, celui de la cour derrière la tour G, et la prolongation du gros mur, jusqu’à la fontaine où l’on place l’ancienne porte des Cordeliers. On voit figurer un jeu de boule nommé : de Manus, et sur d’autres plans : de Metz. On peut, ce plan à la main, suivre les détails consignés dans une lettre signée: De Parcieux , insérée dans le Journal de Verdun, 1757, et réimprimée avec variantes dans le Mercure de France , 1700. Cette longue lettre qui, malgré son bavardage, a paru intéressante de son temps, nous apprend fort peu de chose; j’en citerai plus loin un passage.
La partie du gros mur entre la tour G et la rue S. André-des-Arts soutient encore un jardin élevé d’environ deux mètres et demi au-dessus du sol du passage, mais il ne se prolonge pas jusqu’à la rue. On y monte par un ancien escalier placé dans la première cour du passage de Rohan, où l’on rencontre plusieurs murailles (celle notamment qui, au nord, soutient le jardin) construites avec les pierres de revêtement du gros mur.
Le passage obscur qui, faisant suite à la cour du Commerce, aboutit à la rue S. André, n’est pas dans l’axe de cette cour, mais dévie un peu, comme on le voit sur mon plan. (Verniquet lui a donné à tort une ligne droite.) J'ai cru devoir faire suivre cette déviation au mur d’enceinte attenant à la porte de Buci.
Sur le plan des Archives de 1743, la longue portion du gros mur qui, de la tour H, se dirige vers la rue de l’Ecole-de-Médecine, s’arrête tout à coup à un endroit où il se relie à un mur plus mince qui fait le coude et qui a imposé sa direction à l’étroit couloir par lequel le passage du Commerce débouche rue de l’Ecole. Je vais tâcher d’expliquer cette circonstance.
On lit dans toutes les Histoires de Paris que le mur d’enceinte aboutissait à la fontaine de la rue des Cordeliers (aujourd’hui de l’Ecole-de-Médecine), et que la porte des Cordeliers, depuis dite de S. Germain, était où l’on voit la fontaine. Cette direction du gros mur (que j’ai continuée au pointillé) paraît en effet très- naturelle. Puisque la porte ne fut ouverte qu’en 1240, on ne comprend pas pour¬ quoi dans l’origine il eût cessé , arrivé à ce point, de suivre une ligne droite. Il est même probable qu’à l’endroit où fut percée la porte, il existait primitive-
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
45
ment une tour murale qui fut abattue en 1240. C’est ainsi que je représenterais cette partie de l’enceinte sur un plan fictif de Paris sous Ph. Auguste.
On distingue, sur le plan de 1743, non loin de la fontaine, un mur coudé, qui semble continuer au delà de la rue des Cordeliers, et faire un nouveau retour d’équerre. A mon avis, c’est un reste d’une avant-porte construite peut-être à l’époque où fut creusé le fossé, comme appendice à la fortification de la porte principale. A presque toutes les anciennes portes, de ce côté de Paris, on ajouta, au XVe ou au XVIe siècle, des travaux du même genre. Celle S. Jacques était ainsi précédée, du côté de la campagne, dé murs en zigzag, percés de meurtrières et crénelés, dont l’ensemble formait une sorte de bastion avancé ou barbacane , comme on en voit encore un exemple à Vincennes, devant la porte du Nord.
Le profil de ce mur ici figuré de chaque côté de la rue des Cordeliers a pu induire en erreur, au temps où il était en évidence, plusieurs antiquaires sur la véritable position du mur de Ph. Auguste. Un passage de la lettre citée ci-dessus (signée : De Parcieux ) paraît attester une méprise de ce genre. « Etant dans la « rue des Cordeliers, on voit tout au près de V égout, une inscription en marbre « qui dit que la porte étoit là, et le marbre est placé sur la coupure ou .profil du « mur même de l’enceinte dont on voit encore un reste dans l’allée à côté. » Cet égout est marqué sur la PL ï, fig. 2, d’après le plan de Verniquet.
Robert de Yaugondy s’exprime ainsi : « L’enceinte traversoit la rue des Corde- « liers, où l’on voit dans une allée proche la rue de V Observance un reste à l’en- « droit où étoit la porte S. Germain. » Il est évident qu’il a voulu dire : proche la rue de Touraine, comme l’atteste son plan sur lequel la porte est indiquée devant la fontaine.
En 1598, la porte S. Germain fut reconstruite. Peut-être alors fut-elle reculée plus loin vers l’ouest au niveau des murs del’avant-porte. Les plans du XVIIe siècle ne nous fournissent aucun document positif sur cette question que je discuterai plus tard à l’article : Porte S. Germain.
Dans le voisinage de cette porte, le fossé a peut-être été plus large que sur d’autres points ; il est même à croire qu’on le fit ainsi pour mieux protéger l’avant- porte ; mais gardons-nous de croire que l’inflexion, à cet endroit, de la rue dite : des F ossés-S . -Germain représente précisément cette largeur. Il est notoire que l’extrémité du pont qui conduisait à la porte était, des deux côtés, garnie, dès le XVIe siècle, de groupes irréguliers de maisons, dont les derrières s’appuyaient sur la contrescarpe. La rue a conservé la forme de ces groupes, de sorte que sa direction n’est plus parallèle au mur d’enceinte. J’ai indiqué sur mon plan, par des lignes pointillées, la largeur réelle du fossé.
46
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
V. — l)c la rue de l*JEcole-«le-IH^tIeclite à la place S. Michel.
(Voir PI. II, fig. 2. )
A partir du point où, en 1240, fut ouverte la porte des Cordeliers, dite plus tard S. Germain, le mur continuait, jusqu’à la place S. Michel, à peu près en ligne droite et parallèlement à la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince.
Je dis a peu près, car sur les plans qui le représentent entier, on remarque dans son cours quelques légères déviations qui sont peut-être des imperfections des géographes. La forme plus ou moins courbe que la clôture affecte sur les an¬ ciens plans, depuis la tour de Nesle jusqu’à la place S. Michel, est démentie par le rapport qu’offrent entre elles les portions encore debout, tracées sur nos meil¬ leurs plans modernes.
Il ne reste aucun vestige du gros mur ni des tours entre la porle des Cordeliers et la tour L. Certainement il passait, comme je l’indique sur mon plan, bien près de l’angle formé par la jonction des rues de l’Ecole et de Touraine , mais il paraît qu’il fut. complètement rasé lorsqu’en 1672 on perça cette dernière rue et celle de l’Observance, car aucun des murs mitoyens qui séparent les maisons comprises entre les rues de l’Ecole et de Touraine n’a conservé la ligne de sa direction. Il en est de même de T îlot de maisons entre les rues de Touraine et de l’Observance. Il doit en rester au moins des traces souterraines, ainsi que de la tour I , qui ne pou¬ vait être éloignée de beaucoup de la place que je lui assigne. En 1682, le cloître des Cordeliers fut reconstruit de forme carrée, grâce à une adjonction de terrain pris sur la largeur du fossé. Alors fut aussi rasée toute la portion du mur qui s’étend de la rue de l’Observance à la tour K; mais à partir de celle-ci jusqu’à la place S. Michel, on en trouve des indices certains. Un fait positif, c’est qu’entre la rue de l’Ecole et la place S. Michel il y avait six tours murales; elles sont indi¬ quées sur les plans de Braun, Du Cerceau, Quesnel, etc., et un acte que je citerai plus loin, au sujet de la tour N, le prouve suffisamment. D’ailleurs, rien qu’à examiner l’intervalle entre ces deux points, si l’on a égard à l’espacement à peu près régulier des autres tours, on ne peut se refuser à admettre ce nombre. Gomboust n’en indique que cinq; c’est une omission , ou, de son temps (1650) il y en avait déjà une d’abattue.
Je n affirme pas que les tours I, J et K soient placées sur mon plan avec pré¬ cision , mais leur position s’éloigne peu de la réalité ; quant à celle marquée L, sa situation est fixe, comme je le prouverai bientôt.
Le gros mur n’a jamais formé, comme on pourrait le croire, la limite du cou¬ vent des Cordeliers. Ce couvent, remplacé aujourd’hui parla Clinique et autres
ENC. DE PH. AUGUStE. RIVE GAUCHE.
47
dépendances de l’Ecole de Médecine, s’étendait au delà du mur. Sous Louis IX, ces religieux possédaient des bâtiments au delà du gros mur, qu’ils avaient obtenu la permission de percer d’une porte. En 1356, époque où ces bâtiments furent démolis pour faire place au fossé, on les indemnisa soit par des terrains situés au delà, soit par des maisons en ville. Puis, quand on supprima, vers 1672, ce même fossé, le roi leur en accorda de nouveau l’emplacement, avec permission d’abattre le mur. Alors ces religieux rebâtirent leur cloître, en partie sur le fossé comblé, et prolongèrent leurs jardins jusque vers le milieu de ce nouvel espace; sur l’autre moitié qui, je crois, leur appartenait également, on éleva les maisons qui forment le côté oriental de la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince. Au¬ jourd’hui les cours de plusieurs de ces maisons dominent celles plus basses qui dépendent de la Clinique. Les murs qui bornent cet établissement sont évidem¬ ment construits avec les pierres de revêtement de la muraille d’enceinte, mais n’en représentent pas la place.
La pente rapide delà rue de l’Observance, ouverte par décret de 1672, est un reste de la contrescarpe du fossé, mais l’angle d’inclinaison du talus a été très-élargi, de manière à former une sorte de rampe.
La tour marquée L est un point fixe. Verniquet Fa représentée, à son issu, peut-être, en traçant le plan des bâtiments des Cordeliers. Cette tour, attenante à la pharmacie ou infirmerie de ce couvent, forme une ligne semi-circulaire, avec deux contre-forts ajoutés. Elle figure aussi sur un plan des Archives, levé en 1743. Je l’ai calquée et reproduite, pl. II, fig. 3. Voici un passage de la lettre de M. De Parcieux ( Journ . de Verdun , 1757), relativement à celte tour : «Le mur qui ter- ci mine le jardin des Cordeliers n’est pas celui de l’enceinte, comme on le dit, mais « un mur fait de l’autre côté' du fossé. Ce qui me le fait croire, c'est une tour « qu’on voit dans un petit jardin séparé, qui est celui de l’apothicairie du couvent. « Cette tour a bien l’air d’être de l’enceinte de Ph. Auguste. En effet, entrez dans « l’apothicairie , et delà dans le petit jardin, vous verrez que cette tour est très- « ancienne ; vous y verrez sur le côté la marque ou coupure d’un mur fort épais « qui a été coupé et rogné, et qui se continuoit de côté et d’autre. La distance « qu’il y a de cette tour au mur qui termine le jardin... prouve à la fois que la « tour étoit de l’enceinte et que la muraille étoit sur le bord du fossé , etc. » Cette remarque est juste, seulement M. De Parcieux se trompe en croyant que le mur des religieux s’avance jusqu’au bord de la contrescarpe du fossé. Il était situé à peu près vers le milieu de ce fossé que Louis XIV leur accorda à titre de restitution ou de don, en totalité ou en partie.
Je ne puis me rappeler sur quel plan j’ai vu indiquée avec précision la tour M, qui existait encore avant la reconstruction totale du collège d’Harcourt. Cette tour,
48
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
placée entre deux autres positivement fixes, est tellement nécessaire pour rem¬ plir le vide, qu’il faudrait Y inventer, si aucun plan ne la signalait.
La tour N est marquée sur un grand nombre de plans, notamment sur celui de Verniquet, où sa forme est tout à fait ronde, parce qu'elle était alors complè¬ tement isolée du mur. Je l’ai calquée aussi sur un plan des Archives, levé en 1743 (fig. 4). Sur un autre plan manuscrit (que je possède) levé en prairial an VI, sa forme circulaire paraît altérée. Elle y est tracée au pointillé, au milieu d’un pas¬ sage nommé : passage de la Tour de Philippe le Bel. (Voy. fig. 5.)
Félibien (t. V, p. 126) rapporte des Lettres-patentes, datées 1646, par les¬ quelles le roi fait don au collège d’Harcourt « des place et tour de Pique (peut-être « brique, dit en note Félibien), muraille, rampart, fossé et contrescarpe... à « commencer de la quatrième tour jusques à la sixième, en montant de la porte « S. Germain à la porte S. Michel. » Ce passage prouve évidemment qu’il exista, dans cet espace, six tours sur lesquelles trois dépendaient des Cordeliers, et deux du collège d’Harcourt.
Nous lisons, à propos delà tour N, qui subsistait encore en 1816, comme La Tynna l’affirme, cette note intéressante dans la Notice de Ramond du Poujet (édition 1826, p. 27) : « C’est dans la cour des cuisines du collège d’Harcourt « que cette tour se trouvoit placée; il existoit une tradition à cette époque (1763) « sur cette même tour; c’est que le célèbre Pascal y avoit composé ses Lettres « Provinciales, dans le siècle précédent.» ( Note communiquée , ajoute du Poujet.)
Cette tour était détruite en 1840 : on dut l’abattre quand on rebâtit, de nos jours, le collège d’Harcourt sous le nom de S. Louis.
Les tours L, M et N, sont indiquées à tort comme carrées sur les plans de Du Cerceau et de Belleforest ; sur tous les autres plans elles sont rondes et quelque¬ fois couvertes d’un toit. De la tour N, le mur allait joindre la porte Gibaid, dite plus tard d’Enfer, puis de S. Michel, porte sise à l’endroit où est la fontaine, et probablement placée comme je l’indique sur la planche II, fig. 2.
Le gros mur devait traverser la rue Racine actuelle, entre les nos 24 et 26. 11 me semble en avoir vu quelques traces vers 1840, époque où fut percée la partie prolongée de cette rue. Le n° 24 est le grand bâtiment des Réservoirs. J’ai cru reconnaître, du haut des terrasses qui bordent ces réservoirs, une longue partie du gros mur (60 ou 80 mètres) qui, courant du nord au midi, paraissait servir de limite au collège S. Louis et laisser un espace vide entre le collège et les pro¬ priétés formant le côté oriental de la rue Monsieur-le- Prince.
Il est possible que ce mur ne soit pas celui de l’enceinte; mais, à coup sûr, il a été construit avec ses matériaux. En tout cas, si c’est l’ancien, il a été restauré et modifié, puisqu’il porte, vers le milieu de sa hauteur, un cordon ou bourrelet
3
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE. 49
de pierre, d’une construction peu ancienne, et n’offre plus aucune trace de tours. Quant au fossé de Charles V, il a été comblé, sauf en quelques endroits, où sont des jardins dont le niveau est un peu inférieur à celui du sol de la rue.
Je vais citer ici quelques extraits d’anciens registres, relatifs à la partie de l’en¬ ceinte comprise entre la porte des Cordeliers ou S. Germain, et celle S. Michel.
En oct. 1561, cession est faite aux Cordeliers, parle Bureau delà Ville, « d’une « Allée le long des murs de la Ville, qui faisoit partie du jardin des Àrbalestriers, « contenant 25 toises de long, sur 20 pieds de large... (Bouquet, Mémoire, p. 273).
En 1633 et 1636, plusieurs? places dans les fossés, près la porte S. Germain, sont délaissées, moyennant redevance à la Ville, au sieur Bouteiller de Rancé (J rd ., p. 272).
Sept. 1635. — Bail emphytéotique fait à François Geoffrais « d’une place sise « dans le fossé, entre la porte S. Germain et S. Michel, de 75 toises de long, de- « puis la tour où est le four des Cordeliers... (celle marquée K ou L), pour l’em- « ployer à faire un jeu de longue Paulme et non à un autre usage » (Id., p. 269).
Selon le même registre, on voit qu’en 1634 le collège d’Harcourt possédait, sur le fossé, plusieurs places et maisons qu’il louait. En 1670, il acheta encore à la Ville « huit toises de places en profondeur sur dix-huit de face » (Id., p. 270).
En sept. 1636, un sieur Rubantil cède au même collège « le dessus de la tour des Buttes », probablement celle marquée M sur mon plan ( ld ., p. 269).
En avril 1650, la Ville fait concession aux Cordeliers de soixante toises du fossé, sur vingt de largeur (Id., p. 273).
Procès-verbal de janvier 1655, d’où il résulte que le fossé, derrière l’hôtel de Condé, «avoit auparavant dix-sept toises de large, et vingt-quatre pieds de pro¬ fondeur (ld., p. 273).
Janvier 1655. — « Grosse tour... au-dessus de la porte S. Germain, attenant a le jardin du sieur de Rancé Bouthillier, dont le bâtiment est entre ladite tour et « ladite porte S. Germain, avancé dans le fossé hors la muraille de closture... Le « fossé est traversé, à h toises du mur dudit sieur de Rancé, d’un petit mur « ancien avec une porte et une grande brèche... *près d’un bâtiment... appelé la a Maison du Cordier » (ld., p. 274).
Il sefable clairement résulter de ces extraits que le célèbre réformateur de la Trappe, ou quelqu’un de sa famille, possédait une maison sise entre la porte des Cordeliers et la tour marquée I, maison occupant peut-être une partie de l’em¬ placement actuel de la rue de Touraine.
Le même Mémoire de Bouquet contient beaucoup d’autres renseignements relatifs à cette partie de l’enceinte. J’en ai extrait les passages qui m’ont paru les plus intéressants, regrettant de n’avoir pu avoir sous les yeux les pièces originales.
7
50
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
VI. — Me la place S. IflieBtel à la rue Descartes.
(Voir PI. III. )
La porte Gibard (nommée plus tard S. Michel) était placée au haut de la rue de la Harpe, à l’endroit où est la fontaine en forme d’hémicycle. On ne voit plus, depuis longtemps, les parties du gros mur qui touchaient à cette porte ', rem¬ placée par des constructions où ses matériaux ont été employés; mais il est facile de se rendre compte du point où elles aboutissaient ^il suffit de jeter un coup d’œil sur les planches II et III.
Entre les portes S. Michel et S. Jacques, tous les anciens plans indiquent trois tours, mais les placent à des distances différentes. Sur celui de J. Gomboust, elles se suivent de trop près à partir de la porte S. Michel, et cette partie de l’enceinte est peu exactement rendue, quoique ce plan soit fort estimable du reste. On voit, pl. III, trois calques de plans où figure le passage du mur. Celui de Yerniquet, quoique moins détaillé que celui de La Grive, nous servira de guide. Je suppose que les tours y sont bien espacées. Je n’ai qu’un reproche à lui faire, c’est que le gros mur est trop épais. Il est à regretter que Verniquet n’ait point partout, comme il l’a fait ici, tracé les restes de l’enceinte encore visibles sous Louis XYI.
Les tours marquées 0 et P sont très-connues. Je les ai visitées plusieurs fois du côté delà rue des Grès, où était une caserne de garde municipale, et du côté de la rue S. Hyacinthe. La tour P. a été détruite en 1849, lors de l’ouverture de la nouvelle rue Souftlot (comme s’il était écrit qu’à ce nom de Soufflât dût se ratta¬ cher, encore une fois, un acte de dégradation du vieux Paris).
Le gros mur pouvait avoir, sur ce point, environ six mètres de hauteur à partir d’une espèce de talus de terre qui en cachait peut-être un mètre. J’ai compté, dans cette hauteur, 27 assises de petites pierres d’équarrissage inégal, soit que le mur eût été souvent réparé, soit que dès l’origine les matériaux fussent ainsi disposés. La tour 0 était couverte du toit le plus disgracieux, formé de plâtras, ayant sa pente du côté de la caserne. Vers le haut de la tour était une meurtrière, et peut- être en existait-il plusieurs autres sous les lierres épais qui tapissaient çà et là ces vieux débris. L’intérieur de la tour où était établie, je crois, une pompe, avait été très-modifié; on en distinguait à peine la forme. J’ai escaladé le mur au moyen d’une échelle qui s’y trouvait adossée, et me suis promené sur la tour P, qui sup¬ portait un petit jardin de forme semi-circulaire; car la tour, démolie en partie,
' Toutes les parties du mur attenant aux anciennes portes furent en général abattues, et les ma¬ tériaux employés à construire les maisons qui remplirent le vide occasionné par la suppression des portes.
Lit» O.Ici-iiVifr Rue • om Pe: : r. çav. îï.
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
51
n’avait plus que l’apparence d’une demi-tour. J’oubliai de vérifier si elle portait des traces de voûtes, comme l’assure Mauperché. Du reste, il est assez probable que les deux tours, ainsi que le mur, avaient perdu quelques pieds de leur élé¬ vation primitive.
Ces tours avaient été concédées aux Jacobins sous Louis IX ou sous Philippe le Long; mais lorsqu’en 1356 il fut décidé qu’on creuserait des fossés, elles ren¬ trèrent dans le domaine de la Ville; on détruisit toutes les constructions qui s’y rattachaient, et on dédommagea les religieux par d’autres propriétés.
Les maisons où se voyaient ces tours, rue S. Hyacinthe, n05 9 à 17, sont par¬ faitement tracées sur le plan détaillé du Quartier Sainte-Geneviève, par Dela- grive, 1757 (pi. III, fig. 2). Ce plan à la main, j’ai reconnu, en 1839, les murs mitoyens, les perrons et les terrasses des jardins. La face seule de ces jardins, établis sur le fossé à demi comblé, m’a paru changée. Au pied du gros mur exis¬ tait, je le répète, un exhaussement de terrain en talus, qui semblait être le com¬ mencement de l’escarpe du fossé.
Le point le plus curieux après les tours, c’était un pan de muraille formant équerre avec le gros mur, et partant de l’angle de la tour P, reste d’un bâtiment en saillie sur le fossé, et tracé avec précision sur le plan de Verniquet (fig. 3). Au milieu des assises, à hauteur d’homme, on remarquait une sorte de croix de pierre ; c’était le croisillon d’une ancienne fenêtre, percée dans le bâtiment et murée depuis. Sur une mauvaise image, insérée dans le Paris ancien de Mau¬ perché, on voit figurer les deux tours et ce mur en retour d’équerre, avec trois fenêtres sur la même ligne. Je ne sais si, en 1816, ces fenêtres existaient encore ou si elles furent tracées de fantaisie ; mais, en 1839, il ne restait plus que cet unique vestige du vieux bâtiment dont je vais parler. La suite du pan de mur se confondait avec celui des maisons voisines qui s’y appuyaient.
L’édifice entier se voit sur une petite perspective de Paris, signée L. Gaultier , 1607, et sur plusieurs estampes historiques, qui représentent Louis XIII entrant à Paris par la porte S. Jacques. Il offre l’aspect d’un bâtiment carré, flanqué, dans les angles, de tourelles en encorbellement, et couvert d’une plateforme. Mauper¬ ché le nomme à tort Parlouër-aux-Bourgeois ; c’est simplement une portion du réfectoire des Jacobins, établi en saillie sur le fossé, et peut-être sur les fonde¬ ments d’une partie du Parloir 1 ; mais ce n’est point le Parloir lui-même.
* Ce nom de Parloüer ou Parloir signifie : un lieu de conseil ; nom qu’on a changé plus tard en celui de Parlement. A. Du Chesne prétend que ce nom lui fut donné parce que les bourgeois, assemblés en ce lieu, parlementèrent avec le seigneur de l’Isle-Adam de la reddition de la ville à Charles VII. (Antiquitez, 1609, p. 109.) Explication erronée; ce nom était usité au XIVe siècle. (Voir Dissert, de Bonamy, Mém. de V Acad, des Inscr., t. XXI.)
52
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
On peut s’étonner qu’un édifice si peu central fût consacré aux assemblées des membres municipaux de Paris ; le fait est pourtant irrécusable, car on lit en tête de beaucoup d’actes : Faict au Parlouër-aux-Bourgeois ; mais il faut bien se garder de croire que ce fût là réellement ce qu’aujourd’hui nous appelons un hôtel-de-ville ; ce n’en était qu’une dépendances qu’une succursale. Mauperché remarque qu’on le nommait : « maison de la ville, et non maison de ville » , ex¬ pression indiquant que c’était simplement un appendice à l’administration de la Prévôté. Félibien fait observer qu’on appelait Parlouër-aux-Bourgeois l’institu¬ tion elle-même.
Quelques lignes encore sur cet édifice, puisque son histoire se rattache en quelque sorte à celle de l’enceinte. D’abord, il ne faut pas le confondre avec deux- autres plus anciens, l’un situé près de S. Leufroy (au Grand-Châtelet), dit plus spécialement maison de la Marchandise; détruit en 1684 (voir Félibien, I, pages lxxix, 617 et 632, qui en donne la description); l’autre, situé, selon Du¬ plessis ( Annales , p. 45), près la place Maubert, entre les rues Garlande et des Noyers. Celui qui nous occupe existait déjà avant 1228, époque où les Frères- Prescheurs, dits Jacobins, quittèrent leur couvent, voisin de la place Maubert, pour s’établir en ce lieu alors nommé Clos-aux-Bourgeois , plus tard Vignerai ou Vigneron, et, en 1431 : ClosS. Sulpice. A partir de 1228, le Parloir se trouva enclavé dans le couvent des Jacobins, mais sans leur appartenir. S. Louis leur avait accordé pour s’agrandir un espace assez vaste situé au delà du gros mur, avec permission de le percer pour communiquer avec leurs bâtiments supplé¬ mentaires. Mais, en 1356, on creusa au pied du mur un large fossé, qui isola ie Parloir-aux-Bourgeois du clos du même nom. Les Jacobins perdirent alors les concessions de terrain que S. Louis leur avait faites; perte dont ils furent plus tard indemnisés. Deux ans après, on leur reprit encore du terrain, pour ouvrir un chemin de ronde. Voici ce qu’écrit, à ce sujet, Jean de Venette, continuateur de Guill. de Nangis, à l’an 1358 : «Fuerunt destrueta hospitia et domus quas « Fratres Prædicatores habebant extrà muros... similiter hortos quos foris liabe- « bant... et non solùm domos perdiderunt exteriùs, sed etiam domus intrà mœ- « nia et illas quæ mûris ab infrà jungebantur, ut, inter ipsorum habitaeulum « et dictos muros, adilus fieret atque via. »
Dubreul (1612, p. 502) cite une inscription qu’on voyait de son temps aux Ja¬ cobins, contre la muraille de l’église. Elle apprenait qu’en 1358 on avait détruit le cimetière, ainsi que «les Cloistre, Dortoir et Réfectoir retranchez pour la clos- ture de la ville. » Il est donc certain qu’on abattit, en 1356 et 58, une grande partie des bâtiments des Jacobins, à l’intérieur et à l’extérieur de leur cloître; mais on respecta le Parlouër , et on fit tourner le fossé autour de la partie de
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
53
cet édifice la plus avancée vers le sud ; de là la forme ondulée de la rue actuelle S. Hyacinthe, jadis le chemin de contrescarpe.
Vers la même année 1358, la ville avait acheté, pour tenir ses conseils, la maison dite : au Dauphin ou aux Piliers, sise place de Grève. Alors probable¬ ment le Parlouèr-aux- Bourgeois fut provisoirement abandonné, mais sans cesser d’appartenir à la Ville, et servit de succursale aux assemblées de l’Hôtel-de-Ville, en certaines occasions.
Dubreul cite, p. 503, une charte de 1365, qui donne aux Jacobins, comme dédommagement de leurs pertes, le Parloir et ses dépendances pour y établir leur infirmerie. On pourrait conclure de cette donation, si elle eut son effet, qu’à partir de cette année le Conseil de la Ville fut transféré définitivement sur la place de Grève. Cependant il n’en fut pas ainsi, puisqu’on voit dans d’anciens comptes (Sauvai, tome III, p. 126), qu’en 1365 Robert de Pierre-Fons, pionnier, fut chargé de réparer les fossés endommagés par les pluies, fossés « qui sont der- « rière la Maison de la Ville, qui est derrière les Jacobins. » En faisant cette ré¬ paration, on trouva, le 18 septembre, « une grande partie des forts murs anciennement faits par les Sarrazins, qui donnèrent grand peine à rompre et dépécier \ »
D’après les mêmes comptes, en 1366, on raccommode le pavé qui couvrait le Parlouër. En 1368, Jean de Blois, peintre, le repeint à neuf, moyennant 26 liv. parisis, qu’il reçut trois ans plus tard. Le même auteur (II, p. 481) dit que le Parloir «consistoit en un gros édifice, pavé sur là couverture, qui avançoit neuf « toises ou environ dans les fossés, et de plus, en des tours rondes et quarrées , « les unes avec un comble, les autres terrassées de pierres de liais. » Je ne sais où Sauvai a puisé tous ces détails.
Le 27 janvier 1476, selon Du Breul, page 502, on permit aux Jacobins de faire « vne huisserie en la muraille, près leur puys, faisant la séparation de leur « maison et Vallée des murs de la ville, pour permettre aux nouices de s’aller « esbatre et promener en la dicte allée...»
Ce qui doit faire penser encore que la charte de 1365, citée plus haut, n’eut aucun effet, c’est que, sous Charles VII, « les Bourgeois (selon André Du Chesne) « y parlementèrent avec le seigneur de l’Isle-Adam, de la reddition de la ville
1 Jean de Venette s’exprime ainsi : «Circàcentrumfossatornm, antèdornum Prædicatorum, propè j murum ab extra, reperta sunt fundamenta turrium et castrorum tantæ fortitudinis... ut vix... « instruments ferreis posset opus... dissolvi :quo fiebat ut fossata profundiùs aptarentur, et, ut « fertur, olim ibi fuerat palatium vel castrum quod... Altum Folium (Haute-Feuille) vocabatur, de « quibus adhùc vestigia restant. »
54
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
« au Roi » ; c’est que, en 1504, Jean Le Clerc, Jacobin, demanda au prévôt ce vieil édifice, qu’on lui refusa comme utile à la Ville.
Bonfons, dans son édition augmentée des Antiquités de Corrozet, 1586, nous apprend, fol. 152, qu’en avril 1505 il fut plaidé « touchant le différent meu en- « tre le conuent des Cordeliers (il veut dire des Jacobins ) et le Preuost des Mar¬ te chands pour le Parlouer aux Bourgeois. »
Sauvai enfin dit (t. II, p. 482): «On sait qu’il n’y a plus maintenant (vers 1660)
« de passage ni à’ allée entre les Jacobins et les murs; tout est si bien confondu avec « le monastère, qu’on n’y connoit plus rien, et il s’étend jusqu’aux murailles.
« Quant au Parloir je ne sai ce quil est devenu , car ce vieux bâtiment quarré « que nous voyons dans les fossés, n’y a jamais servi. C’est le bout du Réfectoire « et du Dortoir des Jacobins, ce qui ne paroit que trop par la symmetrie, outre que « l’Histoire du roi Jean nous apprend que, pendant sa prison, ce bâtiment fut « coupé pour en faire un chemin des rondes et détacher ce monastère des mu- « railles et des fossés. »
On notera ici que Sauvai (est-ce la faute de ses éditeurs? ) est en contradic¬ tion avec lui-même, puisqu’il cite des comptes où il s’agit de réparations au Par¬ loir en 1365, 66, et 68, c’est-à-dire après la mort du roi Jean.
Pour prendre un parti, au milieu de toutes ces incertitudes, il faut supposer que le Parlouër-aux-Bourgeois servit toujours, en certaines occasions, de succur¬ sale à la Maison de Ville (dite Maison au Dauphin ou aux Piliers) jusqu’ à l’an 1505, époque où eut lieu le différend entre le Prévôt et les Jacobins. Félibien dit (t. I, p. 633) : « Ce bâtiment fut démoli depuis (1505), dans le tems des guerres, sans « qu’il paroisse que les Jacobins en ayent profité que d’une petite portion de ter¬ re rain.» Je pense, au contraire, que ces religieux obtinrent, vers cette époque, la possession de cet édifice ou de son emplacement, et que, peu après, ils utili¬ sèrent ces vieux murs en les modifiant pour leur usage, ou élevèrent sur ses fondations un nouveau corps de logis en appendice à ceux de leur cloître, de sorte que le bâtiment en saillie sur le fossé doit passer pour une partie refaite du Par¬ loir ou pour une nouvelle bâtisse établie sur ses fondements.
Je continue mes remarques sur l’enceinte. — La tour Q doit être bien indiquée à sa véritable place sur le plan de Verniquet; je suis étonné que Delagrive, sur son plan du Qcr Sainte-Geneviève, gravé en 1757, ne l’ait pas marquée '.
En examinant la direction tortueuse de la rue S. Hyacinthe (jadis nommée des
' Sur le plan en six feuilles du même géographe, 1728 (fig. 1), on voit, entre les rues de La Harpe et S. Jacques, cinq tours ligurer; mais l’une est évidemment une des tours de la porte S. Jacques, et l’autre , trop éloignée de la rue de La Harpe, une des tours de la porte S. Michel. J’ai signalé
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
55
Fossés S. Michel), on voit qu’elle est renflée vis-à-vis du bâtiment en saillie sur le fossé. Cette disposition vient sans doute, je le répète, de ce qu’on élargit le fossé sur ce point, afin qu’il ne fût point rétréci par cet avant-corps. L’extrémité orientale de la même rue fait ensuite un nouveau détour, qui semble annoncer que le fossé fut creusé plus large, à cause de l’avant-porte ajoutée sous Char¬ les Y, ou plus Lard, devant la vieille porteS. Jacques; mais peut-être cette courbe n’a-t-elle d’autre raison que celle exposée ci-dessus (page 45 ), à propos de la porte Buci. Cette avant-porte, dite : murs des carneaux , est mal figurée sur la plupart des plans, hors peut-être sur celui deBullet, 1676. On la verra très-détail¬ lée sur un plan des Archives, que je reproduirai à propos de la porte S. Jacques.
Je ne garantis pas comme très-précise la place que cette porte occupe sur mon plan (pl. III, fig.4); car il ne reste plus aucun fragment du gros mur qui la joi¬ gnait de part et d’autre. Il aura été démoli à l’époque où le vide de la porte abattue fut remplacé par des maisons. Robert de Yaugondy cite une inscription qu’on lisait de son temps (1760) sur une maison de la rue S. Jacques; on y indi¬ quait la place où était cette porte. Ce renseignement est bien vague, car le profil delà porte occupait un espace assez large. On peut, je crois, sur ce point, s’en rapporter à son plan gravé, où figurent la nouvelle église Sainte-Geneviève, et la rue Souffiot, projetée dès lors jusqu’à celle d’Enfer. (Ce prolongement n’a été exécuté qu’en 1849.)
J’ai vu souvent, du fond de l’impasse des Poirées, une partie du gros mur qui se rattachait à la tour Q ; mais il se perdait à l’endroit où aboutissent, vers l’ouest, les limites des maisons situées rue S. Jacques. Du haut d’une terrasse de la maison 166 de celte rue, je remarquai , en 1840, la direction générale des fragments du mur encore subsistants, et j’ai reconnu, après cet examen, que la porte S. Jacques était située entre les nos 168 et 151 (voir l’Atlas de Jacoti- bet, 1835), d’autant plus que les deux maisons qui, vers le sud, font suite au n° 168, offrent des caves à deux étages. J’ai visité celles du n° 172 ; on y des¬ cend par un escalier de 31 marches, ce qui donne une profondeur d’environ 6 à 7 mètres. Il est donc fort raisonnable d’admettre que ces caves, vu leur position, représentent à peu près la profondeur du fossé. Le propriétaire de la belle maison à balcon, n° 151, maison qui a remplacé une partie de la porte S. Jacques, n’a pu me donner aucun renseignement, ses titres étant modernes, comme la plupart des titres des propriétaires parisiens. (Les anciens, en général, sont perdus ou
aussi, dans mes Études sur les Plans, p. 246, un plan partiel anonyme, gravé vers 1680, où l'on dis¬ tingue également dans cet espace cinq tours, dont les deux des extrémités appartenaient aux portes et non au mur de l’enceinte. s
56
ENC. DE PH. AUGUSTE. RIVE GAUCHE.
restés en dépôt chez des notaires ; quelques-uns se retrouvent aux Archives. )
De la porte S. Jacques à celle S. Marcel, dite primitivement Bordelle, la clô- ture suit une ligne inégale et coudée à deux endroits. Dans cet espace, elle était flanquée de sept tours, non compris les deux qui fortifiaient une porte murée, dite Papale. Dans ce long trajet, je n’ai découvert aucune partie du mur d’en¬ ceinte en plein air (sinon proche de la rue Descartes), mais seulement diverses constructions élevées avec ses matériaux. J’avais supposé que les jardins des maisons de la rue des Fossés-S. -Jacques, jardins dont le sol est un peu inférieur à celui de la rue, avaient pour limites le gros mur, ou plutôt un mur moderne bâti sur ses fondements; mais je fus désabusé, lorsqu’en juillet 1846, on creusa, sous ces jardins, les fondations de la nouvelle mairie du XIIe arrondissement. Je vis, rue Clotaire, au milieu des fouilles, le pied du mur d’enceinte. Il passait à environ trois toises vers le nord, en deçà des murs des jardins encore debout, et formait, par rapport à l'axe de la rue Clotaire qu’il traversait, une ligne oblique. De l’endroit où il était jusqu’à l’alignement des façades (côté nord) de la rue des Fossés, j’ai compté environ dix-neuf toises, espace qui représente la lar¬ geur du fossé. Il avait près de trois mètres d’épaisseur, et bien que la partie que j’avais sous les yeux dût être souterraine , il se composait toujours d’un blocage entre deux parements formés de petites pierres équarries. On voyait dans son voisinage deux ou trois autres vieux murs beaucoup plus minces et un débris d’escalier à vis,' qui s’y rattachait. Les journaux ont baptisé cela du nom pom¬ peux de : constructions romaines. J’y ai vu tout simplement des restes de l’ancien collège de Lisieux qui , démoli à l’époque où l’on commença la nouvelle église S. Geneviève, fut transféré dans un autre collège auquel il donna son nom.
Tous les historiographes parisiens disent que la terrasse du jardin de l’abbaye Sainte-Geneviève était soutenue par l’ancien mur abaissé. Le mur d’appui de cette terrasse, indiquée par Verniquet, m’a servi de guide. De la rue Clotaire à celle Descartes, le fossé m’a paru avoir été complètement comblé, et la rue de Fourcy en occupe le milieu '. Dans le jardin du collège Henri IV, qui est celui de l’an¬ cienne abbaye, on ne voit plus de traces ni du mur ni du fossé. La muraille qui limite ce collège et borde la rue de Fourcy, ayant une direction parallèle à la ligne de l’enceinte, a pu induire en erreur plus d’un antiquaire, d’autant plus qu’elle paraît construite avec les matériaux de revêtement du gros mur, lequel passant plus au nord, bornait, avant 1680, le jardin de l'abbaye.
On voit encore aujourd’hui une partie du gros mur, qui de la tour Y allait, en
1 On accorda aux Génovéfains, vers 1680, une partie du fossé creusé sur leur terrain, sous Phi¬ lippe Auguste, bien que ce roi les eût sans doute autrefois indemnisés.
ENC. DE PIE AUGUSTE. - R1YE GAUCHE.
67
faisant un retour d’équerre, joindre la porte Bordelle ou S. Marcel, que j’ai tracée ici d’après un plan que je reproduirai à l’article de cette porte.
La courbure de la rue Contrescarpe indique la forme et peut-être la largeur du fossé. Si cette largeur fut telle à cet endroit, c’est parce qu’on ajouta, sous Charles VI, ou plus tard, devant la porte S. Marcel, une avant-porte qui nécessita cet agrandissement. La forme de cette rue peut provenir aussi de ce qu’elle suivait la ligne de deux groupes de maisons construites à droite et à gauche de l’entrée du pont, groupes qu’on voit figurer sur le plan de Gomboust.
Entre les portes Papale et S. Jacques, tous les anciens plans offrent trois tours que j’ai indiquées sans en garantir la position bien précise, n’en ayant trouvé aucun vestige ni en nature, ni tracé sur un plan détaillé. De la porte Papale jus¬ qu’au point où le mur fait un brusque coude vers le nord-est, Gomboust et Bullet ne marquent qu’une seule tour, mais si rapprochée de la porte, qu’il y a évidem¬ ment une lacune. Il est probable que les religieux de Sainte-Geneviève, à l’époque où ils purent disposer du fossé, voulant établir leur terrasse, auront fait dispa¬ raître une ou deux tours, si elles n’avaient, été depuis peu de temps abattues. Les plans de Du Cerceau et de Belleforest indiquent deux tours entre la porte Papale et la tournelle d’encoignure; mais ceux de Braun et deMérian en marquent trois. J’ai cru devoir accorder ma confiance aux deux derniers qui, sur presque tous les points, sont plus exacts; et d’ailleurs l’espace, à en juger par analogie, semblait exiger ce nombre.
La porte Papale était située à peu près dans l’axe de la rue des Sept-Voies; aussi forma-t-on autrefois le projet de faire aboutir cette rue à la porte, qui était murée et non précédée d’un pont sur le fossé.
La tour Y, qui fortifiait une encoignure, était peut-être plus robuste et plus élevée que les autres. De ce point jusqu’à la porte S. Marcel aucune tour inter¬ médiaire ne figure sur les anciens plans.
Déjà, en 1676, à s’en rapporter au plan de Bullet, une partie des fossés étaient comblés, de ce côté de la ville; mais l’arrêt qui ordonne ces travaux est daté de 1685. Par ce même arrêt, selon La Tynna, les maisons de la rue Contrescarpe furent reprises de quinze pieds sous oeuvre. Cette rue avait donc une pente assez raide, comme celles S. Hyacinthe et des Boulangers. Je soupçonne que ces trois rues devaient leur escarpement à cette unique cause : c’est qu’elles repo¬ saient sur des buttes factices formées d’anciennes voiries, ou plutôt des déblais du fossé creusé sous le roi Jean, devant la muraille de Ph. Auguste.
8
58
ENC. DE PH. AUGUSTE. — RIVE GAUCHE. .
VII. — Ile la rue Descartes à la Seine.
( Voyez PI. IV.)
A partir de la rue Bordelle (aujourd’hui rue Descartes) qui aboutissait à la porte S. Marcel, jusqu’à la rue S. Victor, le passage du mur est aujourd’hui même encore signalé par de grandes portions bien conservées. Ce sont les seuls débris de l’enceinte que cite Germain Brice, qui s’exprime ainsi (édit, de 1706, t. II, p. 41 ) : <r A présent, il ne reste de ces murailles que quelques pans à demi ruinez, «derrière le collège de Bonccur, sur lesfossez de S. Victor. » Germain Brice était un observateur peu exact, puisqu’au lieu de quelques pans, on voit encore le mur presque entier et dans une grande étendue II suffit, pour s’en convaincre, d’entrer dans toutes les cours des maisons de numéros pairs de la rue des Fossés-S. -Victor.
Rue Descartes, 51, j’ai vu, en 1839, la coupe du mur qui avoisinait la porte S. Marcel. La loge du portier y était adossée; en montant au deuxième étage de cette maison, j’ai pu me promener sur le sommet du mur. Sa hauteur était, en cet endroit, d’environ sept mètres au-dessus du pavé, et son épaisseur d’un peu plus de deux; il servait d’appui à un petit jardin. Je l’ai retrouvé, rue des Fossés- S. -Victor, n° 34, au fond de la cour, où il soutenait les terres de jardins appar¬ tenant aux maisons de la rue Descartes. On avait bâti, au-dessus, un autre mur d'environ deux mètres de haut. Dans la cour du n° 30, plus au nord, il m’a paru plus élevé qu’au n° 34, parce que, à diverses reprises, la pente de la rue avait été adoucie, et le pied du gros mur déchaussé.
J’ai suivi, pour dresser mon plan (pl. IV, fig. 1), la direction que celui de Verniquet donne au mur qui limite le terrain de l’Ecole Polytechnique bâtie sur l’emplacement des collèges de Boncourt et de Navarre. Ces collèges, selon tous les historiens, étaient bornés par le mur d’enceinte. Si donc le plan de Verniquet est exact, le mien sera tracé avec précision.
Le profil du mur, mis à découvert par le percement de la rue Clovis (1807), est un point fort curieux. Il donne une idée de sa construction intérieure et de l’ancien niveau du sol, bien abaissé aujourd’hui, L’exhaussement du terrain où s’élève cette ruine lui prête beaucoup de majesté. Ce mur supporte, du côté de l’est, les terres d’un jardin pittoresque dépendant de l’ancien collège de Boncourt. je l’ai parcouru sans y rien rencontrer de remarquable. On y voyait autrefois, m’a- l-on dit, sans autres détails, d’anciennes constructions. Je pense qu’il s’agissait de restes de l’ancien collège. J’ignore à quelle époque cette partie de l’enceinte fut découronnée de scs créneaux.
à
Liik - C • SchlalKr r cLu P’ CârreàLi . 52
ENC DE PH. AUGUSTE. —RIVE GAUCHE.
59
Bien des Parisiens ne connaissent de la clôture de Ph. Auguste que cet impo¬ sant échantillon qui paraît, de la rue Clovis, avoir une élévation de dix mètres. Mauperché, qui en parle au long (p. 115), a cru devoir le faire graver à l’état res¬ tauré. Il lui donne onze pieds d'épaisseur à la base sur trente-quatre d’élévation. Je crois ces mesures un peu exagérées. Il ne faudrait pas conclure, d’après ce débris, de la hauteur générale du gros mur, car, à cet endroit, il a été exhaussé, et sans doute aussi déchaussé vers sa base, quand on abaissa la rue. Il a pu néan¬ moins, dans l’origine, avoir été construit ici plus solidement que sur d’autres points, parce qu’il devait résister à une pente rapide.
De la rue Clovis à celle S. Victor, il existe encore de nombreux fragments du gros mur qui soutient, jusqu’à la rue Clopin, les jardins de l’Ecole Polytech¬ nique, et, à partir de cette rue, sert de limite entre les maisons de la rue d’Arras et celles de la rue des Fossés-S. -Victor. Il est souvent, au fond des cours de cette dernière rue, caché par des hangars. J’ai vu, en avril 1840, rue S. Victor, 85 (voirie plan de Jacoubet), dans une fabrique de couvertures, dont parle Du Poujet, presque vis-à-vis l’entrée des Jeunes-Aveugles, une portion notable du gros mur parfaitement conservée. Au mois d’avril de l’an suivant, on rebâtissait la maison et l’on^employait les pierres de revêtement à cette construction. J’en vis alors les derniers débris ; on y remarquait, au milieu des assises, à deux mètres environ du sol, de larges embrasures pratiquées, à une certaine époque, pour l’artillerie. La coupe de ce mur, qui séparait alors les maisons n03 85 et 87, a pu m’indiquer, au juste , l'endroit où il se rattachait à la porte S. Victor : c’était près de l’orifice d’un égout qui doit s’écouler dans une partie voûtée de l’ancien fossé.
De la porte S. Marcel à celle S. Victor, j’ai figuré cinq tours. C’est le nombre indiqué sur tous les plans du XVIe siècle, y compris la grande gouache de l’Hôtel- de— Ville. Ceux de Mérian, Gomboust et Bullet n’en indiquent que quatre, diver¬ sement espacées. Mais sur ces deux derniers plans il y a évidemment une lacune.
Je n’ai pu relrouver aucune trace matérielle de ces tours; j’ai donc nécessai¬ rement dû leur assigner une place conjecturale. 11 n’y a de fixe que la tour Z, tour d’encoignure marquée sur tous les plans, notamment sur celui de l’archi¬ tecte Beausire, que j’ai reproduit àpropos delà porte S. Marcel. L’espace en exi¬ geait évidemment quatre autres, pour que le mur fût garni comme sur les autres points. J’en ai donc supposé une, aa, sur la route de la rue Clovis, avec d’autant plus de vraisemblance que le mur formait là une sorte d’angle rentrant; l’autre, bb, aura disparu sans doute quand on perça la rue Clopin. Les deux autres, cc et dd, auront été abattues, sous Louis XIV, par les propriétaires de la rue des Fossés-S. -Victor, pour gagner du terrain.
Quant à la largeur du fossé comblé sous Louis XIV, elle est représentée par
60
ENC. DE PH. AUGUSTE. — RIVE GAUCHE.
la ligne des maisons de la rue des Fossés-S. -Victor. Les façades qui en bordent le côté occidental, ainsi que leurs cours, et aussi, je crois, une partie de la lar¬ geur de la rue elle-même, occupent la place du fossé.
La suite de l’enceinte entre la porte S. Victor et le quai exige de nombreux éclaircissements, car les anciens plans sont loin d’être d’accord entre eux, non sur la direction du mur, qui est certaine , mais sur le nombre et la forme des tours. On en compte cinq sur la grande gouache de l’ Hôtel-de-Ville, quatre sur le plan de Braun, trois sur ceux de Du Cerceau et de Mathieu Mérian ; sur celui de Jacques Gomboust on ne voit que deux demi-tours , et la petite vue de Paris signée : 1607 L. Gaidtier sculp. en offre quatre. Une eau-forte d’Israël Silvestre, gravée vers 1 655, représente, près de la porte S . Bernard (celle construite en 1 605) , une tour entière crénelée; enfin sur un long profil de Paris, édité vers 1660 par Nie. Berey, on en distingue dans le lointain deux de même forme.
Comment nous reconnaître au milieu de ces divers témoignages? Il faut re¬ courir aux hypothèses, en partant d’un fait incontestable que certifient, sans l’ex¬ pliquer avec précision, les anciens historiens, c’est que cette partie de l’enceinte fut retouchée à diverses époques, depuis l’an 1356. 11 est à présumer qu’au temps de Ph. Auguste, on bâtit quatre ou cinq tours murales plus ou moins régulière¬ ment espacées entre la porte S. Victor et la Tournelle, fortification sise au bord de la Seine, sans aucune porte de ville contiguë. Ces tours primitives, après avoir peut-être été plusieurs fois réparées , devaient subsister encore sous François Ier; mais depuis elles auront été ou remplacées ou modifiées dans leur forme, et deux peut-être supprimées, comme je l’expliquerai bientôt.
On trouve aux Archives (IIIe cl., n° 1 1 9) un plan levé par un arpenteur en 1662, vers l’époque où fut décidée la vente des fossés de ce côté de la ville; mais la date en est trop moderne pour nous éclairer sur l’état primitif des lieux (voy. pi. IV, fig. 2). Le gros mur offre des renflements semi-circulaires ou demi-tours, comme sur l’estampe de Gaultier et le plan de Gomboust l. Leur diamètre paraît un peu plus étendu que celui des autres tours rondes, mais c’est peut-être par suite de la négligence du toiseur, qui attachait moins d’importance à ces détails qu’au mesurage des terrains à vendre. D’après ce plan, dont celui de Gomboust corrobore ie témoignage, je conclus qu’en 1662 tel était en effet l’état de cette portion de l’enceinte. Mais à quelle époque ces trois demi-cercles avaient-ils remplacé les cinq tours dont je suppose par analogie l’existence? Faut-il les regarder comme trois des anciennes tours qu’on aurait ouvertes du côté de l’intérieur afin d’en
' Le plan de J. de la Caille, 1714, et plusieurs antres, indiquent, entre la porte S. Victor et la Seine, le plan géométral d’une tour circulaire. Je regarde ce détail comme une fantaisie du géographe.
ENC. DE PH. AUGUSTE. — RITE GAUCHE.
61
faire des sortes de bastions? Plusieurs circonstances viennent à l’appui de cette idée que, dans cette partie de la ville, le mur et les tours d’enceinte furent trans¬ formés à une certaine époque en un rempart disposé pour recevoir de l’artillerie.
Sous le roi Jean on se borna à creuser un fossé, et peut-être à rehausser le mur; mais sous Charles V on ne jugea pas ce fossé suffisant; en mai 1368, selon un extrait de compte de la Ville (Sauvai, III, p. 126) on ajouta, entre la porte S. Vic¬ tor et la Seine, un arrière-fossé de 36 pieds d’ouverture sur 16 de profondeur, payé à raison de 64 solsparisis la toise. 11 était «revêtu de pieux, cloyes, foin, fagots et autres choses gazonnées par dessus pour le soutenir». Un article inséré dans les Mémoires de V Acad, des Inscr. (tome XIV) ajoute que le fond des fossés était au-dessous du niveau de la Bièvre. Il est fait mention de ce fossé supplémentaire dans un acte de 1411 , par lequel le droit de pêche est accordé aux religieux de S. Victor qui avaient fourni le terrain sur lequel il fut creusé, terrain pris sur leur terre d'Alez.
Les historiens contemporains de Charles V font entendre, mais en termes assez vagues pour donner lieu à diverses interprétations, que sous ce roi on retoucha au gros mur d’enceinte en certains endroits, afin de le rendre apte à recevoir des machines de guerre et même des canons; mais on n’indique pas comment le mur fut approprié à ce nouveau service.
Ce n’est que sous François Ier qu’on voit des dispositions prises pour attribuer au gros mur les fonctions d’un rempart. Le duc de Montmorency frt, en mai 1525 (époque de la captivité de François Ier), un rapport sur l’état de Paris, dans lequel il ordonne de faire un seul fossé des deux qui existaient, dans cette partie de la ville, et de reporter dans la ville la terre que produirait cette fouille.
Cet ordre fut en effet exécuté, et les déblais provenant delà suppression du ter¬ rain qui séparait les deux fossés formèrent contre le mur à l’intérieur, entre la Tournelle et la porte S. Marceau, un terrassement indiqué sur le plan de Gom- boust. Ce terrassement fut destiné évidemment à placer des pièces d’artillerie. Les bouches des canons s’engageaient dans des embrasures dont j’ai vu des traces dans le gros mur, notamment en 1839, rue d’Arras, 11, au fond d’une petite cour, et aussi dans une autre cour (marquée d’une croix, sur mon plan, pl. IV, fig. 1) dé¬ pendant du terrain de feu M. Bordereau, propriétaire du chantier du Cardinal Le¬ moine. Dans le gros mur aminci de moitié qui séparait cette cour de l’hospice des Jeunes-Aveugles, s’ouvrait, à la hauteur d’environ deux mètres du sol (car le ter¬ rassement n’existait plus), une large embrasure destinée probablement à l’usage ci-dessus indiqué.
Ce fut peut-être aussi vers l’époque de François Ier qu’on eut l’idée de con¬ vertir les tours murales, pour les utiliser, en des sortes de bastions semi-circu-
62
ENG. DE PU. AUGUSTE. - RIVE GAUCHE.
laires, appropriés aux exigences de l’artillerie. Alors , dans cette hypothèse, on aurait ouvert du côté de la ville trois anciennes tours rondes qui, ainsi modifiées et munies d’un terrassement, pouvaient remplacer jusqu’à certain point les bastions angulaires de nouvelle invention, et recevoir, soit deux pièces d’artillerie destinées à battre en flanc l’ennemi, soit simplement des arquebusiers. Alors aussi on aura jugé convenable d’abattre une ou deux tours intermédiaires, comme nuisibles à l’effet des feux croisés.
Tous ces détails au reste n’ont pour base qu’une hypothèse que nulle preuve matérielle ne peut confirmer, car depuis longtemps on ne voit plus de tours mu¬ rales de ce côté de Paris, et celles dont la gravure nous a conservé l’image parais¬ sent arrangées de fantaisie. J’ai bien trouvé dans le chantier du Cardinal Lemoine, qui s’étendait jusqu’au quai, quelques traces informes du gros mura fleur de terre , mais pas le moindre vestige d’anciennes tours , sinon peut-être près du quai, à l’endroit où le mur se reliait à la porte de la Tournelle.
Si l’on jette les yeux sur mon plan , on voit que le fossé était plus large, de la porte S. Victor à la Seine, que sur les autres points de l’enceinte. Cette largeur n’a rien qui surprenne, puisqu’il y avait là un double fossé réuni en un seul en 1525. Ce fossé était presque en tout temps rempli d’eau, vu sa profondeur, jusqu’à la hauteur de la porte S. Victor. Nous verrons plus loin, d’après d’anciens comptes, qu’il était fort poissonneux, sans doute parce qu’on y retenait le poisson au moyen d’écluses ou de vannes. Cette pêche était affermée, ainsi que la récolte de l'herbe qui croissait sur les deux talus, car j’ai déjà fait remarquer que les an¬ ciens fossés de Paris n’étaient point revêtus, excepté ceux de Louis XIII, qui le furent du côté de l’escarpe.
La porte S. Victor, représentée sur le plan des Archives (fig. 2), est celle re¬ construite en 1568. Celle S. Bernard ne fut ouverte qu’en 1606; il n’existait à cet endroit aucune porte sous Ph. Auguste; mais plus tard, sous Charles V, par exemple, il est possible qu’on eût ouvert une poterne. Dans l’origine donc, le gros mur aboutissait directement à une haute tour sise au bord de la Seine, proba- blementconslruile comme celle de Ph. Hamelin, et nommée par excellence Tour¬ nelle (nom qui, malgré sa forme diminutive, signifiait grosse tour), et plus tard tour S. Bernard. On lit dans un compte de 1573, cité par Sauvai (III, p. 630), que Simon Grignon, passeur d’eau, demeurait dans la tour S. Bernard, dite la Tour¬ nelle. Cette tour n’est certainement pas celle élevée sous Ph. Auguste comme pendant de celle de Ph. Hamelin, car les plus anciens plans n’offrent à cet endroit qu’un gros bâtiment carré, flanqué de tourelles à encorbellement, comme on en élevait sous Charles VI et sous ses successeurs. Il est probable qu’on aura, à une certaine époque, substitué à la tour primitive qui faisait face à celle de la rive
ENC. DE PH. AUGUSTE. — RIVE GAUCHE.
63
droite, nommée Barbeel-sur-l’ yeaue, une sorte de bastide , comme on disait alors, ou un ensemble de constructions, clos d’une muraille flanquée de quelques tours de moyenne grosseur. Dans le bâtiment carré qui fut réparé en 1554, S. Vincent de Paul établit, en 1632, une nouvelle prison pour les galériens. 11 fut abattu sous Louis XV. Il ne restait plus, vers 1750, qu’un ancien mur de clôture relié à deux tours rondes de petit diamètre, caria plus grosse égalait à peine celles qui flan¬ quaient l’enceinte de Ph. Auguste. La fig. 3 de la pl. IV en donnera une idée; c’est un calque extrait du plan de F île S. Louis, gravé en 1757 d’après Delagrive, qui le dressa un peu avant cette époque. Ces deux tours, qui ne peuvent avoir appartenu à l’enceinte , paraissent être un reste de l’ensemble de la fortification substituée à la Tournelle de Ph. Auguste. Au reste, je ne trouve nulle part d’expli¬ cation sur ce point. Il est vraisemblable que la plus petite était attenante à la bas¬ tide carrée sise au bord delà Seine, et dont on distingue ici un des murs de face.
R. de Vaugondy avance*que l’enceinte méridionale commence à la Tournelle « dont on voit encore l'ancienne tour. » Il veut désigner sans aucun doute l’une des petites tours figurées sur le plan de Delagrive. C’est une erreur que Ramond du Poujet a partagée, mais avec une certaine hésitation : « Comme cette tour, dit— « il, bâtie par Ph. Auguste tomboiten ruine, elle fut relevée vers 1554, mais elle « n’existoit plus dans son entier quand ce que nous en avons vu encore sur pied « fut démoli vers 1786. »
« Le pont de la Tournelle (lit-on dans le Dictionn. de La Tynna ) qui existait « déjà en 1369 était de fust ( de bois ) : on y fit cette année-là une tournelle car- « rée ( dont il a pris son nom ) et une porte qui fut étoupée ( bouchée ) l’année sui- « vante. » Cette méprise, fondée je ne sais sur quel renseignement, renferme sans doute un fait réel ; c’est la construction de la Tournelle , sauf qu’il faut la placer où nous la voyons sur les vieux plans.
Quel que soit le genre de fortification qui ait, dans l’origine, terminé au bord de la Seine, de ce côté de Paris, l’enceinte de Ph. Auguste, un point certain c’est qu’elle se trouvait au lieu nommé : la Tournelle, et qu’elle correspondait, au delà de la rivière, à une tour dite Barbeel-sur-V yeaue . Entre ces deux têtes de clôture se trouvait l’île Notre-Dame (S. Louis). Etait-elle dès lors divisée en deux